lundi 27 septembre 2010

L'amour est dans le train

Pendant que le train avance dans la nuit, je suis assis sur un siège bien propre et je commence à m'endormir en voyant passer les stations.

(tous les témoignages parmis diverses personnes qui ont été recueillis sont vrais)
新宿(Shinjuku)
The doors on the left side will open. Please mind the gap.

Témoignage:"Wake up. grab a brush and put a little make up. hide the scars to fade away the shake up."


         J'ai raccroché le téléphone. Je n'aime pas le téléphone, c'est moins bien qu'en vrai, mais bon, en vrai ce n'est pas clair non plus et puis c'est dans longtemps, trop longtemps. L'amour n'attend pas. C'était une des choses les plus dures de ma vie: rompre. Enfin, j'ai rompu de mon côté, sans artifice, sans sacralisation et surtout pour éviter la précédente, pleine d'incertitudes. Juste "ras-le-bol": les incertitudes minent mon estime personnelle, font monter l'espoir. Je ne traînerai plus derrière, je suis fatigué, l'Amour m'a fatigué. Rien n'est perdu bien sûr, car c'est une petite flamme précieuse, un secret que je garde au fond de mon coeur, l'éternel espoir du "un jour" qu'on doit ranger dans une petite boite parce que ça ne dépend plus de nous-même. Il faut cependant arrêter d'aller chercher l'amour quand celui-ci s'enfuit, pour des milliards de bonnes ou mauvaises raisons, de vos mains tremblotantes. Ces choses là marchent dans la réciprocité. Prendre ses distances, peut-être pas définitives enfin ça j'en sais rien, mais ne pas revenir quémander. Avancer plutôt.  
      Cette troisième année d'étude à l'étranger est une année particulière car elle questionne beaucoup le thème de l'amour. Tous les couples se posent la question de la troisième année, se posent la question de rester ensemble ou pas. Certains éclatent, d'autres résistent, se transforment, ou s'effritent. Il n'y a pas de recette miracle contre la jeunesse qui avance, contre le mystérieux temps qui passe. L'Amour, le sexe, l'attirance, l'amitié: on a beau avoir 20 ans, ces problèmes ne sont jamais simples et ne le deviendront jamais.



三鷹 (Mitaka)
The doors on the left side will open. Please mind the gap.

Témoignage: "La nuit était parfaite et froide, l'Hotel de ville très lumineux, l'ambiance parfaite à l'amour. Je me suis approché pour l'embrasser et l'autre a reculé d'un pas, de peur de se faire frapper au coin de la rue."

Aimer c'est dur. Aimer c'est questionner la liberté. Quand on aime, est-ce qu'on est moins libre ou pas? Est-ce qu'on s'enchaîne ou est-ce qu'il nous donne des ailes? Et puis pourquoi y'en a toujours un qui aime plus que l'autre? Pourquoi on cherche tous une personne qu'on aimerait assez pour se sentir enchainer, alors que l'autre, ça lui fait peur? Je pense que de telles questions sont sans fin. Il faut le vivre de façon existentielle plutot qu'essentielle. L'Amour n'est rien sans liberté et existence. L'Amour se vit avant de se penser et n'existe que lorsqu'il peut s'épanouir sans se poser de question.

Vous me direz: mais j'aime librement ma femme, je ne me cache pas, et pourtant parfois je doute de mon amour? Oui vous avez sûrement raison, car l'Amour n'est qu'un marshmallow gluant qui s'adapte aussi à nos humeurs et découvertes. Mais essayer d'aimer sans liberté, et vous verrez que votre amour périra aussi vite que la flamme d'une bougie dans un ouragan.


たしかわ (Tashikawa)
The doors on the left side will open. Please mind the gap.



Témoignage:"Encore une fois nous nous sommes réveillé à 5 heures du matin pour quitter mon appartement. Personne ne devait nous voir."

On parle souvent de l'amour entre un homme et une femme. On nous a toujours bassiné avec les contes de fée et toutes ces conneries faites quelque part pour consolider un idéal bourgeois et reproducteur de cette espèce virale que constituent les humains. Mais en vérité, l'exemple des amours homosexuelles, des amours alternatives, ne nous montrent-elles pas mieux la question de l'amour et de la liberté? Parce que l'alternative, elle a pas toujours le droit de faire tout ce qu'elle veut...

Aimer, certains le vivent comme un poids essentiel. "Je suis une femme et je ne peux tomber amoureuse que de femme." "Je suis un homme et je ne peux tomber amoureux que d'hommes." Quand on est homo, l'amour semble déjà moins libre. Quand on ne peut choisir rien d'autre, aimer c'est au départ un calvaire.  Et puis il y a les bisexuels. Certains homo n'aiment pas les bi, parce qu'ils disent que ceux-ci se retourneront toujours vers la facilité. Hors, très logiquement, on peut dire qu'être bi c'est aussi difficile que d'être homo. Quand on est bi, l'amour devient un cauchemar de choix, et on devient une machine à aimer. Aimer universellement n'importe quel sexe: cela fait de nous une personne indéterminée, ne sachant jamais sur quel pied danser, incapable de s'associer à des schémas précis. Aimer sans cesse sans comprendre. L'amour libre est aussi un calvaire. Et sur le plan existentiel, c'est pareil: quand on aime quelqu'un du même sexe que le sien, on s'expose à la même situation que quelqu'un qui ne peut pas choisir. Il s'agit de prendre finalement le pli d'un amour alternatif, que la société, dans sa bienséance, n'accepte toujours pas très bien.




埼玉県 (Saitama ken)
The doors on the left side will open. Please mind the gap."Pendant que j'étais couché sur ses genoux, un homme d'affaire allemand est passé devant nos sièges et a dit d'une voix agacée, en levant les yeux: "nein, nein, nein".

 Dans ses yeux, j'ai vu des millions d'étoiles, mais aussi des gros nuages noirs. Des kaléidoscopes de lumière qui s'emmêlent à la noirceur, à l'incertitude. Et qui font ressortir ma propre noirceur, mes propres incertitudes. Partir quelque temps, ou pour oublier un peu les étoiles, ou pour en trouver d'autres, moins brûlantes et brillantes, mais peut être plus calmes, plus sereines.


吉祥寺 (Kichijouji)
The doors on the left side will open. Please mind the gap.Témoignage"S'aimer dans le salon, devant les grandes fenêtres glacée, sur le tapis quand soudain  on panique: le voisin pervers nous a peut être vu?"

On aime d'abord un corps. On l'aime partout ce corps et on tombe à la renverse. On le prend partout, le mâche, le renifle. Il n'y a plus de normes sociales, il n'y a que l'amour qui prend tout et s'en va. Ravagé, d'avant en arrière, plus on avance, moins on comprends, on s'enchaîne, on ne comprends plus, on se perd, on sourit sans comprendre. Aller-retour. Aller-retour. Aller-retour. Perdu dans l'instant, le temps n'a plus d'importance. Le corps est un corps: qui pose sur lui les normes orthodoxes est un fou! Le désir parfois s'en va, parfois revient. Mais c'est toujours ce corps. Par amour, le corps devient un corps, et tout ira bien.

Témoignage: "On m'a pourri ma première année à Sciences po parce que j'ai eu le malheur de tomber amoureuse."

四ツ谷(Yotsuya)
The doors on the left side will open. Please mind the gap.
Témoignage: "Il est une heure du matin. Les yeux pleins de sommeil, je marche pour aller discrètement retrouver l'amour bien au chaud. Mais il fait vraiment froid dehors, et les voitures ne sont pas nombreuses."

Les confessions d'un fou dans un asile ont parlé: "Je me suis posé là, je lui ai tout dis, et puis j'ai attendu la sentence. Quand elle est tombé, fou de joie, j'ai couru à ses lèvres pour l'embrasser, et je n'ai même pas eu l'impression de faire un sacrifice". Le fou a alors commencé à prendre une feuille de papier, a déchiré quelques morceaux pour les manger, ses pensées faisant les mêmes tours avec obsession dans sa tête.

六本木 (Roppongi)
The doors on the left side will open. Please mind the gap.

Témoignage: "Pour la première fois, j'ai écris qui j'étais sur la neige près d'un pont quand soudain je l'ai effacé pour que personne ne me voit. J'avais le coeur tout serré."

Assumer. L'amour est dur à assumer je pense. Il est dur d'assumer et de dire à quelqu'un qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime plus. C'est presque aussi dur je pense. Être dans l'incertitude, ne pas savoir quelle réponse assumer, être perdu mais en même temps avancer. Pourquoi prendre une décision si elle est définitive? Il n'y a rien de rédhibitoire dans les relations humaines. Les hommes sont des êtres contigents, tout change entre nous tous. Mais il faut avancer, sans l'autre. C'est souvent plus dur pour l'un des deux. Mais les chemins sont beaux plus loin, dans les champs où poussent de grosses fleures violettes qui ont l'odeur de moutarde.

Le train passe, le train passe. J'ai le coeur qui se serre et des vertiges. おわりますか. L'un aurait dit: "mais vous vous êtes dits ça par téléphone, ça veut rien dire. Quand l'un sait plus où il en est, il faut avancer et lui laisser du temps." L'autre aurait dit: "Parfois entre les hommes, la parole devient tragique. L'un parle et l'autre entend autre chose. Il faut briser ce qui est tragique et avancer." Avancer, avancer, avancer.

Témoignage: "J'ai arrêté de me mutiler quand j'ai compris que j'avais le droit d'être amoureux."

武蔵境 (Musashi sakai)
The doors on the left side will open. Please mind the gap.

Témoignage: "Mais ils ont le droit de faire ce qu'ils veulent, tant qu'ils n'ont pas d'enfants et qu'ils ne se montrent pas trop en public. C'est qu'ils pourraient faire peur à nos petits, voir même les corrompre".

Ne pas pouvoir aimer librement, c'est ne pas pouvoir aimer tout court.
...Non, la condition des amours alternatives n'avancent pas vraiment! Merci TF1. Merci la France, qui en retard sur beaucoup de pays d'Europe, n'a toujours pas légalisé le mariage homosexuel et l'adoption. Parce qu'il faut se retenir hein? Parce que c'est moins naturel qu'une fécondation in-vitro faite par une femme célibataire qui a recour à un don de sperme? Parce qu'il faut retenir des sentiments pour le bon plaisir d'une foule bien pensante, de la gentille foi judéo-chrétienne? Parce qu'il faut se retenir d'avoir le coeur qui se sert quand on voit une poussette et une famille heureuse? Parce qu'il faut se retenir d'avoir les larmes aux yeux quand on voit un couple s'embrasser sans réfléchir? Parce qu'il faut se retenir d'avoir les boules parce qu'on hésite à prendre un hôtel en vacances? Parce qu'il faut se retenir de souffrir de voir quelque chose de normal et de puissant ranger dans un placard plein de poussière et de honte? Se retenir oui: "retiens toi, tu verras, à 20 ans, ça te passera". Non, ça ne passe pas. L'amour ne passe pas Monsieur, l'Amour ne passe pas Madame. L'amour est là, présent, compressé par une société qui fait semblant d'accepter mais qui a les crocs affûtées. Une société qui n'est pas homogène, qui frappe la différence et qui montre que les taux de sida n'augmentent que chez les homosexuels, sans aucune nuance! L'amour n'est pas libre dans notre société Monsieur! L'amour n'est pas libre, Madame. L'amour reste toujours une luciole que l'on enferme dans une lanterne, pour faire croire que la beauté s'épanouit dans le monde, alors qu'on l'étouffe à petit feu, doucement, doucement.



武蔵小金井(Musashi Koganei)
The doors on the right side will open. Please mind the gap. Please don't jump in front of the train. Please dry your eyes. Please hang on, please.

"Chérie je t'aime, chérie je t'adore"

Petite poupée russe qu'on a laissé enfermé dans la grande, personne ne t'a laissé vivre et t'épanouir. Puisses tu rester dans un petit coin de mon cerveau, pendant que je fais ma vie sans trop regarder comme tu vis aussi. Tes joues sont des poignées de sable que je ne peux saisir, que tu ne peux saisir.  Car l'Amour se prend, s'envole et se perd, revient parfois. Je vois rien, tout est sombre, dit, tout est sombre. Mais comme le train, j'avance toujours vers des destinations, qui pour seule différence, n'ont pas vraiment de noms. Est-ce que c'est toi, dit, qui voit la lumière? しらない、じらない. Peut être qu'on recroisera le chemin, ou pas. Pour l'instant, avançons, en boitant un peu, sortons de la station de train, rentrons dans nos chambres, et dormons. Pour réaliser nos rêves. 

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