samedi 11 septembre 2010

Bharat, Bharat


From Parveen's car


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En Inde, c'est une certitude, il fait froid! Enfin, c'est ce que je me dis, à l'avant de notre voiture de tourisme. Parveen Kumar, notre chauffeur, pour nous faire plaisir, a mis la climatisation sur puissance quatre, et malgré les 40° de dehors, nous frôlons, mes parents et moi une hypothermie certaine. Il y a quelque chose d'ironique à vivre dans autant de fraîcheur, en prenant la route d'un pays aussi chaud et gigantesque. C'est un peu comme si c'était une protection, un cocon contre le pouvoir de la gigantesque Bharat.

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L'Inde, à première vue, c'est le bordel, même derrière les vitres du carrosse climatisée. A notre arrivée, à 6 heures du matin à Delhi, le soleil s'est levé au milieu des rues sans goudron ni trottoirs. Ses rayons traversent les toiles de fils électriques, des centaines de fils anarchiquement reliés, donnant l'impression d'être pris dans une toile d'araignée. Après avoir déposé les affaires à l'hôtel, nous nous sommes risqués dans les rues, et dans la quatrième dimension. A Karol Bagh, pourtant quartier plus aisé que Old Delhi, une masse grouillante de gens, pas de sens de circulation de la route, des klaxons partout, des gens qui veulent vendre tout et n'importe quoi, du bruit, des crachats, des vaches, des enfants, encore un peu de bruit, une pauvreté hurlante et ulcérante, des travaux (ça s'est sur, c'est mal barré avant les jeux du Commonwealth), de la musique hindou, une statue de Hanuman géante, du bruit, encore du bruit, que du bruit! Black out! Retour paniqué à l'hôtel, et sieste carabinée dans la chambre climatisée...  « Ne me demandez plus jamais de sortir! » que je me suis dit.
Une Vache au dessus des Hommes

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L'Inde demande une acclimatation certaine, qui réclame une flexibilité d'adaptation. Le cerveau est sans cesse stimulé par des choses qui ne nous arrivent jamais. Au début, on ressent un véritable sentiment d'agression. Il n'est pas rare qu'au moment de rentrer dans le taxi, des femmes accompagnées de leur bébés en pleurs vous demandent de l'argent. Cet horrible geste: la main touche la bouche avant de se positionner pour mendier, comme pour mimer sa faim, reste gravé dans ma mémoire comme une chorégraphie macabre. Nous étions enfermés dans la voiture en attendant le chauffeur, pendant qu'elles tapaient avec leurs bagues contre les vitres, nous montrant leurs enfants crier. Elles étaient cinq, toutes avec un bébé dans les bras. Le bruit de la climatisation masquaient un peu leur litanie mendiante, et l'inévitable culpabilité du nantis de l'Occident.

Plus de route à Pushkar en temps de mousson




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Enjoy!

Sortir de la climatisation, c'est possible. Mais il faut accepter d'avoir chaud et de voir l'Inde, implacablement plurielle. Nous avons visité le Rajastan et la Vallée du Gange (Uttar Pradesh), ce qui constitue en soi, deux mondes différents, bien que tous les deux dans le Nord de l'Inde. Nous sommes passés par Jaipur, Pushkar, Agra, Vanarasi, Haridwar et Rishikesh avant de retourner à New Delhi, notre point de départ. Alternance entre grandes villes dévorantes et fatigantes et petites villes qui ont inspiré les hippies du monde entier: entre les deux mon cœur balance. Grande ville, petit village: tradition et modernité? Ce poncif est pourtant bien réel en Inde, bien que moins duel et tranché. Je ne crois pas que les deux constituent un vrai couple de contraire. Ici, la tradition s'est véritablement introduite dans la modernité: il y a une réalité indienne plus qu'une identité qui se bat pour retrouver ses racines traditionnelles. Ce conflit semble exister, certes. Mais, il n'y a pas à penser à un paradis perdu quand on voit deux Sikhs en train de boire un Coca cola au coin d'une rue. L'Inde, c'est un peu comme un « Jack-in-the-box ». Les surprises sont à chaque coin de rue, bonnes ou mauvaises. Le plus impressionnant est peut être le fait religieux, omniprésent, puissant, coloré, incompréhensible et bruyant. L'Inde est un monde: régime politique bien trempé, administration omniprésente malgré l'apparent désordre, culture et cinéma propre, des dizaines de langages différents, une nourriture particulière, ses propres faits religieux et ses propres lieux saints, une Histoire interminable, son industrie et ses monopoles... On se sent alors tout petit, dans sa voiture de touriste.

Une boutique de Karol Bagh

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« Chère Amélie, cher Dylan... Je vous remercie de m'avoir accueilli à Delhi pendant ces vacances. J'ai été très heureux de vous revoir et vous souhaite tout le bonheur du monde. J'espère que vous allez bien et que vous vous faites aux moeurs indigènes. Je vous envie! Profitez en bien! » Ce qui est drôle, c'est le plaisir que l'on a à retrouver du connu lorsqu'on est dans le flou total. Passer des heures dans un restaurant tamoul à parler d'une réalité lointaine, à gossiper, à se raconter nos vies, nos déboirs et les nos réussites. Pas de doutes: une expérience, un amour n'est bon que si il est partagé avec d'autres. J'aime partagé ma vie au milieu d'un thali!




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Comment aimer un film sans le comprendre?


« Je voudrais qu'il voit ce que je vois ». Vanarasi est une grand ville sainte. Cependant, j'ai réussi à trouver des petites rues, des petits dédales remplis de boutiques et de restaurants minuscules. Un labyrinthe vivant, avec foule et rires, pourtant très calme. Il s'est alors mis à pleuvoir. Et pas une petite pluie: la mousson, ou chaque goutte est un seau d'eau qui fait déborder les rues. Un marchant, pour une fois non envieux de me faire acheter une quelconque bricole, m'a alors proposé de m'assoir à sa boutique en attendant que la pluie cesse. Sans un bruit, nous avons attendu la fin de la pluie. Je me suis alors dit qu'il fallait que je les y emmène, qu'on voit nos amis communs aux quatre coins de l'Inde. Il fallait que les gens que j'aime voient ça, qu'ils voient ce que j'ai vu. Certains partent en voyage pour se couper de leur vie, pour oublier, ou tenter d'oublier ce qu'il y a derrière, fuir les problèmes. Moi j'aime voyager pour m'appauvrir, tout remettre en question, et pour trouver des endroits que les autres aimeront, pour les aimer davantage par la suite.

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Je ne me baignerai jamais dans le Gange. Mais au loin, elle est sortie des eaux, de dos, ruisselante. Étrange impression de chavirer, bien qu'on se remette vite sur le droit chemin du voyage.



"Dans son sari na plin zimages"

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Fatigue

L'Inde l'avait désemparé...


Fatigue. L'Inde pendant trois semaines, ça fatigue, et quand on est touriste, on est seul. Et comment donc ne pas y penser?


...mais elle continuait à regarder vers l'avenir
(...)


"Sous la pluie, nous ne voyions
Que l'air orangé et rouge
Et les bâtisses d'un rêve ancien
Bordées de lumières vertes et roses."

Bien sûr il m'est arrivé d'y penser. Comment ne pas y penser, quand on est assis sur les ghats de Pushkar, merveilleuse petite ville du Rajastan, ville de hippies. J'ai toujours eu une propension à la rêverie. J'aime penser à l'amour, parce qu'il me fait vivre. Certains n'y pensent pas, ou ont peur d'y penser. Moi j'y pense trop. Et comment ne pas être une machine à aimer, quand on voit une ville pareille. Ville orangée quand il pleut, ville blanche. On pourrait y rester des heures et ne pas revenir. Ce qu'on peut retenir de l'Inde, c'est cette fascination qui peut nous prendre, n'importe où et cette diversité qui explose nos codes et nos valeurs. Si l'Europe aime l'Unité, l'Un, en Inde se décline sans cesse le contingent et le multiple, dans un harmonieux chaos. Alors, Parveen nous demande de remonter en voiture, pour la prochaine destination. Et on retourne sur les routes de Bharat, avec de la musique indienne plein les oreilles et plein les yeux. Jai ho, my friend, Jay ho!

2 commentaires:

  1. Bel article, très agréable à lire et à regarder.
    Quoi dire d'autre ? L'inde me semble vraiment être un monde à elle toute seule.

    En lisant ton article, j'ai pensé à une chanson d'Alanis Morissette, que j'écoute en ce moment, et qu'apparemment elle aurait écrite à son retour d'un voyage en Inde. La première phrase du refrain est tout simplement : "Thank you India"
    http://www.youtube.com/watch?v=sxueYZLvs48

    Alors, est-ce que c'est ça qu'on ressent lorsqu'on revient de là-bas ?

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  2. C'est peut être ça oui, et comme dans le clip, on se sent complètement nu et désemparé

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