dimanche 30 janvier 2011

Merci à Clarisse Pham


" Le poète n'est plus campé seul, face au reste de la réalité; il est, ni plus ni moins qu'un autre, embarqué dans le même bateau et pour un même voyage. Cette proximité fait d'autant plus ressortir sa singularité que son activité est presque inexistante : au moment où les rameurs qui ont souqué sur les avirons sont en fin de course et s'apprêtent, tendus qu'ils sont en arrière, à basculer précipitamment en avant, en relevant les rames de l'eau, ils créent par ce mouvement même une sorte d'arrêt dans le mouvement de la barque, qui correspond à un moment d'inertie. C'est très précisément là que celui auquel Rilke identifie le poète intervient : son chant comble cette inertie, et, plus encore, la convertit, transformant la résistance de la barque en un chant qui la métamorphose, en même temps que ce chant qui permet à ceux qui rament de retrouver le rythme et le sens de leur action. Qui plus est, la source du chant n'est pas l'indigence de la réalité, mais bien un surcroît d'être auquel il est indispensable de donner d'abord une forme. Le chant qui surgit ainsi n'a pas nécessairement un sens immédiatemment perceptible, mais il maintient un lien étrange et insolite entre l'immédiateté d'une résistance concrète mais dominée, subvertie, et des aspirations plus lointaines, inévitablement floues encore, ert qui, sans doute, resteraient inexprimées, faute de recevoir cet élan, en quelque sorte surgi de l'avenir. C'est pourquoi la place du poète est, avant tout lieu qu'on voudrait lui refuser, lui concéder ou lui offrir, sitée dans le temps."

Marc B. de Launay
Introduction de Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke 

mercredi 5 janvier 2011

Merci!

"Happy birthday to you
Happy birthday to you
Happy birthday to you Mister President
Happy birthday to you"


Je me suis mis sans raison valable, à réécouter Marilyn Monroe dans ses belles années. Quand Marilyn a chanté cette chanson, qui a provoqué sans aucun doute une érection à tout son public masculin, elle signait aussitôt son arrêt de mort, par un suicide qui sentait bien trop les dessous présidentiels pour être franc et désespéré. Happy birthday Mister president! Et surtout, à tous, en retard, un très joyeux noël et une bonne année! Let us celebrate.

J'ai pensé à "Happy birthday", parce que j'avais envie de vous faire un remerciement aussi glamour que celui de Marilyn. Je voulais remercier les lecteurs de ce blog. J'écris pour me vider l'esprit, pour essayer de mettre en forme ce qui se passe dans ma tête, et surtout pour garder une constance dans la vie sans avoir l'impression de sombrer dans le vide. Je n'irai pas jusqu'à me faire poête maudit bien sûr, parce que je ne suis ni assez bon, ni adepte des clichés tout faits pour me considérer comme tel. Disons juste qu' écrire me donne l'impression de marcher droit, malgré les bourrasques de vent sur le chemin. Une sorte de tapis existentiel que nous offre seulement l'acte de créer. Je veux remercier tout ceux qui m'envoient des messages et des compliments après avoir lu mes articles même s'ils ne commentent pas ceux-ci sur le blog même. Chaque message est personnel et touchant. Merci encore, cela me donne encore plus l'envie d'écrire, et de mieux en mieux.

Joyeux Noël et Bonne année à tous.
And happy birthday to you mister president!

mardi 4 janvier 2011

Il manquait quelque chose à Onomakoen

J'arrivai à Onomakoen à 9 heures 37 du matin. Par les fenêtres du train, on pouvait voir la neige tomber à l'horizontal. Tout était blanc autour du village. La neige avait tout recouvert et le froid s'était infiltré partout. Il faisait sept degrés en dessous du zero. Trop peu de degrés pour me permettre de sortir sans l'attirail de l'alpiniste. Tous les passagers du train ressemblaient à des cosmonautes. C'était un peu comme si nous arrivions sur une autre planète. Le soleil était haut et glacé. Le ciel aussi était bleu et glacial.

Onomakoen est une toute petite ville située près d'Hakodate. Ces deux villes se trouvent sur l'île d'Hokkaido (北海道), située au Nord du Japon. Il s'agit clairement de l'île la plus froide du pays. Je m'y étais rendu pour les vacances de Noël. J'avais besoin de fuir Tokyo, sa grande mégalopole, ses mondanités et ses problèmes. J'avais besoin de me perdre un peu plus au Nord. Et je me suis retrouvé à Onomakoen.

C'est arrivé ce jour là, un vendredi. Onomakoen est un très petit village. En hiver, on ne voit plus la route, les maisons sont recouvertes de neige, il n'y a plus de de trottoirs et les gens ne sortent pas de chez eux. Je me dirigeais en sortant de la gare, vers les lacs. Trois charmants petits lacs, reliés par des ponts de bois sont une des attractions locales. Sur la route, avancer s'avérait difficile. Il faisait si froid que mes joues semblaient tomber. Je n'avais plus l'impression d'avoir des oreilles et mon nez ne respirait plus le même air. J'étais défiguré, et mes pieds s'enfonçaient péniblement dans le neige.

Une fois arrivé aux lacs, je sentis rapidement mon visage se recomposer. Les lacs étaient bien présents, magnifiques, gelés et calmes. Le manteau blanc uniforme recouvrait les berges et la cime des arbres, les eaux restant noires et sans aucun mouvement. Pas une feuille sur les arbres, eux aussi lueurs sombres au tableau tout blanc. Le ciel était terriblement nuageux. Tout était calme. Je me suis alors avancé et j'ai traversé le premier pont pour aller me perdre dans la forêt.

Se perdre dans la forêt était franchement difficile. Au Japon, l'inconnu est souvent connu, et se retrouve vite balisé. Même avec un mètre et demi de neige, les panneaux vous indiquent le chemin. Pris par la contemplation des lieux, je trouvai quand même le moyen de m'écarter des berges par inadvertance, pour m'enfoncer dans la forêt. Le froid ne me gênait plus vraiment. Mais au bout d'un moment, la vision devenait de plus en plus difficile. J'étais perdu dans le blizzard. Ma promenade devenait sans intérêt. Je me décidai alors de rentrer pour échapper au froid. C'est à ce moment là que je la vis. Une jeune femme, grande, mince, vêtue d'une longue robe blanche. Les épaules nues, elle ne semblait pas avoir froid. Elle me regarda dans les yeux, puis se retourna pour s'enfoncer dans la forêt. Je l'appelai plusieurs fois mais elle ne s'arrêta pas et disparu.

Je ne savais pas qui était cette femme. J'avais à peine aperçu son visage. Cette énigme persistait dans mon esprit jusqu'à mon arrivée à la gare. Ma promenade avait été trop longue, et je fus surpris de découvrir que j'avais raté le dernier train de la journée. J'étais alors forcé de rester à Onomakoen. Il ne me fallu pas longtemps pour trouver une auberge. Installé dans une petite chambre confortable, je regardais par la fenêtre le spectacle blanc du dehors. Qui était cette femme? Pourquoi ne mourrait-elle pas de froid, ainsi perdue dans la neige? Je n'avais pas envie de rester seul dans cette chambre, alors je descendis à la salle à manger pour dîner. Une jeune femme jouait du Shamizen et chantait. Bercé par les sons étranges que j'avais pu l'habitude d'entendre, je regardai la jeune femme d'un oeil endormi. Dehors, il neigeait.

Il neigeait encore, et le vent gelé me pétrifiait le visage. Dans les grandes rues sombres de la ville, j'essaie de suivre les traces de pas dans la neige. Je ne sais ni où je suis ni où je vais. Je suis juste les traces de pas dans la neige jusqu'à arriver à une impasse. Il y a par terre des petites gouttes écarlates sur le tapis blanc. Après, je me réveille.

Je m'éveillai. Il y avait près de moi le corps de la joueuse de Shamizen endormi. Elle me montrait son dos, couchée sur le côté. Il y avait dans la chambre une odeur de corps. A la fenêtre, la neige tombait sur le petit matin, on avait sorti les pelles pour déblayer la neige. Le ciel était blanc. Quelques traces de buée aussi. Buée sur mes lunettes quand la musicienne m'a lancé un regard curieux hier soir. On s'était alors attablé près de la cheminée. Elle parlait japonais. Moi aussi, enfin mal, mais suffisamment pour faire passer l'ambiguïté qui s'éveillait petit à petit en moi. Quel visage étrange, les yeux si fins, la bouche discrète, un sourire qui n'en est pas un mais que ne se refuse pas non plus. Je ne savais plus très bien comment nous en étions venu à monter dans ma chambre, ni comment j'avais ôter petit à petit ses vêtements. Ses baisers étaient différents de ceux que l'on m'avait donné jusqu'à lors, après près de 45 ans d'errance. Nous avions rapidement basculé par dessus bord. Après le réveil, je ressentis cette étrange impression, celle de se réveiller à côté de la personne avec qui on a fait l'amour quelques heures avant. C'était un peu comme un entre-deux, entre l'impression de connaître au plus profond mais d'un autre côté, une distance si caractéristique de l'âme humaine, qu'on ne peut vraiment saisir complètement. Comme s'il manquait quelque chose. J'embrassai alors doucement son épaule.

La chambre était de nouveau vide, pleine de ma présence seule. Je buvais un café à la fenêtre quand je me mis à y repenser. La dame de la forêt. Qu'était-elle devenue? Peut être la reverrais-je si je m'y rendais encore une fois. Je me mis alors à penser à toutes ses histoires de déesses et de sorcières, à Ulysse qui se faisait entraîner par les sirènes: un petit rire s'échappa de ma bouche. Je finis mon café, mon appareil photo, pris mon manteau et retourna dehors.

Le temps n'était pas clément, mais pas non plus hostile. Entre deux eaux. Je me dirigeai alors au même endroit que la dernière fois. Il était quatre heures, la nuit tombait, mais le reflet des lointaines lumières de la ville sur la blancheur de la neige me permettait encore de voir clair. Comme je m'y attendais, la jeune femme était là de nouveau. Toujours impassible, droite alors qu'elle était épaules nues dans un climat glaciale, elle posait sur moi son grand regard austère. Généralement, devant ce genre de personne, on a peur et on s'enfuit. Mais nous sommes dans la vie pour avoir peur, la vie est effrayante aussi bien qu'attirante. Alors je restai devant elle, et je m'approchai doucement pour être sûr de bien voir tous les contours de son visage.

J'eus beau m'approcher, elle ne recula pas. Elle restait pieds nus dans la neige, des feuilles plein les cheveux, la peau aussi blanche que bleue dans ce paradis gelé. Près d'elle, je fus surpris par les gouttes écarlates dans la neige, tout autour de sa robe. Je le regardai alors et je vis un grand trou rouge sur sa gorge. Pris d'effroi, je reculai, sans comprendre. Je décidai alors de rentrer à l'auberge sans regarder en arrière. La jeune femme ne me suivit pas.

On raconte que le jour de ses noces, une jeune mariée avait découvert que son mari s'était enfuit sans donner d'explications. Folle de chagrin, elle était allée se suicider dans la forêt d'Onomakoen. On avait retrouvé que quelques traces de sang, mais pas de corps. C'était il y a 20 ans.

La joueuse de Shamizen m'avait appris quelques chansons. Nous les chantions au lit, ensemble. On atteint toujours une espèce d'intimité avec l'autre qui nous permet même de chanter avec elle. Cela donne une impression de proximité, une jouvence mystérieuse autour du message transmis plutôt directe de l'acte sexuel. Pendant que nous chantions, elle me regardait dans les yeux. J'avais beau la connaître depuis peu, je ne pouvais m'empêcher de me sentir bien avec elle. Mais il manquait quelque chose. Pendant que je chantais doucement, elle passait ses mains dans mes cheveux. Puis doucement, elle m'embrassa et sa main se faufila jusqu'à mes reins. Je passai alors lentement ma main sur sa poitrine ferme et douce comme la neige.  Elle me pris doucement par les cheveux et m'emmena vers le bas. Nous avions cessé de chanter, ayant opté pour un message plus direct. Si bien que peu de temps après, j'entrais et je sortais de la joueuse de Shamizen et je ne savais plus très bien où j'en étais.

Toujours ce même rêve, dans une ville, il fait nuit et je suis les traces dans la neige jusqu'à arriver aux gouttes de sang. Ce même rêve, enfin, c'est étrange comme il commence à devenir comme la réalité ce rêve. Comme si ma réalité devenait un rêve. Comme si ma réalité devenait un récit, dont les mailles sont constituées par le rêve. Démêler le vrai du faux. Le train est entrain de s'envoler, la neige aussi. La neige remonte au ciel. Il n'y a plus de nuages. Et quand on regarde dans le lac: "Il manque quelque chose".

Je lui embrassai doucement l'épaule. Mon amante avait le goût de la neige. Elle se retournait avec les yeux pleins de larmes. "C'est parce que tu pars!" qu'elle me disait. Alors je l'embrassai, et tous les murs de bois autour de moi se transformèrent en pierre.  Quand je l'embrassais, je voyais son visage s'ouvrir comme un ciel sans nuage, bleu et orange, la pluie tombant de ses cheveux secs et d'argent. Je l'embrassais, comme pour ne pas qu'elle s'en aille, comme pour l'empêcher de partir alors qu'elle était déjà partie, couleur d'orange, comme le violon qui poussait doucement dans mes mains. Je passais l'archer sur ses joues tremblotantes...Pourquoi?...pourquoi l'eau coule de l'appartement alors qu'il neige en dehors? Il régnait dans la chambre une odeur de cadavre. Alors, je l'embrassai encore une fois, mais mon amante se transforma en flaque d'eau et me coula entre les doigts, ne laissant comme présence que des draps humides au goût du sel.

"Il manque quelque chose". Je suis retourné voir la femme des neiges, parce que je savais qu'elle allait être là. Les feuilles tombaient comme en automne sur la neige blanche qui devenait rouge. Je m'approchai de la jeune femme...il n'y avait plus rien à dire... C'était un peu comme s'il n'y avait pas d'histoire. La belle femme de la forêt, le fantôme de mes propres pérégrinations passées, un emmêlement qui ne peut me sortir "de la misère dans laquelle je me trouve". On plonge dans la neige comme on plonge dans le vide. On peut parler de sang sur la neige, de la beauté de l'écarlate sur ce fond tout blanc. Il manque quelque chose à cette histoire, il manque quelque chose.

J'étais les deux pieds dans la neige, pour retourner voir la dame des neiges. Elle n'était plus là. Elle ne reviendra plus. Elle n'avait sans doute jamais existé d'ailleurs. Tout ceci n'est qu'une fiction, comme les murs de cette chambre qui se sont envolés au même moment dans le noir, comme cette femme qui s'est décomposée d'eau en plein milieu de mon lit solitaire. La neige reflétait les lumières rouges des balises de détresse. Mais ici, le chemin n'était plus balisé. Tout ceci est faux, tout se décompose, tout est artifice littéraire perdu au milieux de la neige. D'ailleurs, Onomakoen n'était pas vraiment un paysage d'hiver. C'était en plein été. Je n'avais pas 45 ans. Et la joueuse de Shamizen n'était pas vraiment japonaise.

Je n'avais plus qu'une seule solution. Marchant sur le petit pont de bois, qui séparait deux petits îlots, je m'appuyai sur la barrière pour contempler le lac gelé de l'hiver. Je montai alors sur la barrière et sautai dans l'eau. La glace se brisa à ma chute. Le lac était profond. Dans l'eau je me retournais pour voir la lumière de la lune à travers l'orifice laissé par mon corps. Je me laissais couler dans le fond, laissant le froid pétrifier définitivement chaque partie de mon corps, pour que ma peau devienne toute bleue. Rien à faire pourtant, rien à faire. Il manquait quelque chose.

Il se remit à neiger.