mercredi 7 septembre 2011

Une soirée avec Kamma, une semaine à Sciences po, un mois à Paris

Je marchais avec Kamma. Elle est la première islandaise que j'ai rencontré, après la mélodieuse voix de Björk (qui parfois donne l'impression qu'on lui écrase le pied pour attraper au passage ses amygdales). On parlait, on marchait sans vraiment s'arrêter, dans les rues de Paris, des humains, de l'amour, de la vie et un tout petit peu de cuisine. Petit à petit, d'Odéon jusqu'à Saint Michel, devant la magnifique Notre Dame, puis le long des quais, jusqu'à cette grande avenue éclairée, haussmannienne, magique. Rien à redire. Il ne faisait pas vraiment froid. Les quais devenaient de plus en plus couleur de nuit, des flux d'étoiles se fondaient dans les grands bâtiments de marbre de Lune.

Soudain, Kamma pointa une statue du doigt. Une magnifique statue, comme il y en a plein à Paris, éclairée par les réverbères, contrastant avec la noirceur bleutée de la nuit. Magnifique vision, mais mon cœur s'est serré. Il y avait un homme assis au pied de la statue. Il m'a regardé dans les yeux, sans sourire. On aurait dit un fantôme. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi mal à l'aise.

Paris. Ca y est. On y est. C'est étrange. La ville semble si petite après 6 mois de Tokyo, un an d'Asie, un an devant une immensité inévitable. Vraiment magnifique. Je ne sais pas pourquoi j'ai mis autant de temps à le remarquer. C'est un véritable musée, un immense musée mouvant et actif, vibrant, pédant mais à la fois éternellement jeune et impétueux. C'est une bataille qu'il faut gagner, pour en tomber éperdument amoureux.

Le long de la Seine, on voit passer les bateaux mouches illuminés et les touristes béats, buvant du vin sur un son d'accordéon. Et pour ceux qui restent un peu plus longtemps, regardant le fleuve plein de mélancolie, on peut voir petit à petit apparaître les bateaux fantômes. Les morts sont silencieux et dînent dans le noir. Ils ont cette délicieuse couleur bleutée. Il y a la vieille veuve, ses enfants et le jeune poète rêveur qui s'est jeté du balcon de sa chambre, à la proue de ce bateau sans capitaine. Je verse quelques larmes dans le Styx.

Et Sciences po maintenant. Nous voici à Saint Germain des Près. Étrange institution qui ressemble à tout sauf à une université et qui est entourée de magasins de chaussures et de fringues dont le prix n'est même pas affiché. Je ne sais pas trop comme prendre les gens ici. Beaucoup sont très bien habillés. Beaucoup sont habillés normalement. L'endroit évoque l'argent, le luxe, l’abri du besoin, la déconnexion, la préservation. Mais on y sent aussi le sérieux, l'intelligence, le savoir. Étrange. Les gens sont ici des individus, beaucoup moins déterminés  par l'appartenance à un groupe. Ils semblent également davantage seuls. Paris, en nous isolant nous redonne ce rêve romantique, et cette impression que l'on peut faire ce que l'on veut, devenir qui on veut. 

Le long de la Seine, on voit passer les bateaux mouches illuminés et les touristes béats, buvant du vin sur un son d'accordéon. Et pour ceux qui restent un peu plus longtemps, regardant le fleuve plein de mélancolie, on peut voir petit à petit apparaître les bateaux fantômes. Alors je me suis jeté du haut du pont pour tomber sur le plancher de ce bateau plutôt froid. L'équipage m'a regardé d'un air indifférent, voguant sur le Léthée et le corps de ce fleuve plein d'étoiles et de météorite, s'enfonçant dans le Grand Noir du siècle, au couvercle d'or.

Mélancolique et Romantique, comme on le dit, voilà Paris.

"Some people just determine their identity before chosing someone they love. You rather do the contrary. You are hopelessly romantic. You love loving. You believe in it so strongly that you can handle the confusions, the multiplicity, on the sake of Love. You love no matter what."

Maintenant, au 27 rue Saint Guillaume, les lumières sont éteintes même si tout le monde marche dans les couloirs sans vraiment se rendre compte qu'ils marchent dans le noir. L'eau de la Seine dévale les escaliers et transforme les couloirs en un couloir de fleuve. Je suis dans le hall principale, et de l'eau s'écoule depuis le plafond de la péniche. Certains courent dans les grands couloirs vides, à la recherche d'un chemin un peu plus clair, luttant contre l'eau qui se fait de plus en plus présente, palpable, envahissante. Je ne peux pas m'empécher de le voir ce fantôme qui marche dans les couloirs, sans laisser de trace, pendant que tout prend l'eau ici. Parce que quand on lui envoie une pierre, il ne sent rien, puis qu'il est devenu transparent. Et l'eau remplit petit à petit le bâtiment, pour surpasser la Terre.

A la proue du vaisseau fantôme, on est même pas perdu, dans le Grand Noir des villes. Pendant que le bateau s'enfonce dans l'eau trouble, où les souvenirs remontent sans vraiment devenir physique. Le bateau coule, je coule avec lui, j'ai encore un peu la tête hors de l'eau, un peu perplexe, mais étrangement heureux d'être baignée par la lumière lunaire. Qu'y a-t'il d'autre pour être serein, qu'attendre que tout retrouve un certain ordre, trouver la brèche et le bateau fantôme pour créer et rêver? Pendant ce temps, la bateau s'enfonce dans les profondeurs, et on ne voit plus maintenant que l'onde calme éclairée par la lumière du réverbère.