mercredi 17 novembre 2010

Le Poète et l'Amour

Aujourd'hui, j'étais entrain de travailler (ou plutot de faire semblant, parce que je manque cruellement de motivation, surtout devant mon ordinateur), quand j'ai ouvert ma boite mail. Un mail de Kamma Thordarson, une amie qui fait en ce moment son stage à New York. Étant en train de lire Milan Kundera, elle me parlait des poètes:

"La fidélité de la femme au héros mort faisait partie des mythes sacrés de Jaromil; elle lui donnait l assurance que l´absolu de l´amour n´était pas seulement une invention de poète mais qu'il existait et rendait la vie digne d´être vécue."

Milan Kundera, La vie est ailleurs

Un ami m'a écrit ce message en guide de commentaire.

Il, elle, qui? Au fond c’est toujours la même, toujours le même, un visage, un sourire, une lumière.
«Surtout, ne me perds pas, lui avais-je dit. Je suis facilement perdable.» Et elle riait de mes enfantillages. Pourtant, elle m’a perdu quelque part. Où était-ce? J’ai oublié… Il y avait de vieux temples en ruine et du soleil sur les près. Je me souviens d’un champs de fleurs blanches, de hautes colonnes corinthiennes. Je me souviens vaguement de la chaleur et du ciel bleu sur les péristyles. Et d’un vaste plateau jonché de roches écroulées. Il n’y avait pas de falaises, pas de montagnes. Au loin, l’océan faisait miroiter ses eaux bleus foncés. Et puis de nombreux pins qui nous abritaient du soleil. C’est tout. Il n’y avait pas les cigales, ni la lavande méditerranéenne. C’était à Agrigente je crois. J’ai oublié de regarder si la Sicile ressemblait aux cartes postales… Je marchais à la conquête des vieux monuments, avec ton sourire qui me suivait. «Ne me perds pas surtout!». Je me suis retourné pour voir si tu étais toujours là mais tu avais disparu. Pourtant, ce n’était pas le dieu d’en bas qui t’avais rappelée, mais tu n’étais plus là. Je t’ai cherchée derrière les temples et derrière les bois touffus mais je ne me suis pas retrouvé, je n’ai pas retrouvé nos traces que déjà le vent avait recouvertes. La lumière méridionale brillait de toute sa splendeur sur les ruines éternelles. Il était midi. J’ai regardé le soleil sans ciller, rêvant que mon regard s’envolait vers lui. Mais il fallut détourner mes yeux brûlant et laisser tomber mon rêve solaire: ses rayons m’avaient transpercé. Comme d’habitude. Combien de temps encore avant que les ans n’aient ruiné mon coeur?… «Ne me perds pas!» lui avais-je dit…

(J'étais retombé par hasard sur ton blog. Il m'a inspiré. Je voulais laisser ce commentaire comme ma pierre à l'ouvrage mais internet refuse que je commente alors je te l'envoie. A toi de juger ce que tu en feras. Ne nous perdons pas!)




Je trouve un lien intrinsèque entre ces deux textes. Dans le premier, il est question du poète qui est supposé être "l'inventeur de l'amour", même si cette affirmation apparaît un peu comme une dénégation. Dans le deuxième texte, nous avons un poète qui écrit sur l'amour, qui crée poétiquement l'amour. Il y a un lien fort entre le Poète et l'Amour. L'Amour est quelque chose qui est flottant, instable, puissant, parfois faible, parfois proche de la haine, parfois fleurtant avec une délicieuse indifférence, parfois contradictoire, multiple et qui essaie d'être un, sans cesse remuer par l'expérience, il revient et s'en va, s'oublie, se partage. L'Amour ne pense qu'à lui-même. Le poète lui, c'est un peu la même chose, il est explosé et partout, et il est vers lui. Son moi recherche constamment son expression dans ce qui l'entoure, cherchant à la fois à se cacher et à se révéler. Mais le poète a une arme. Le poète a une plume qui enferme les choses dans les mots et sur les feuilles. Le poème peut enfermer l'Amour et lui donner une texture et une constance. Il en fait un reflet, un paradigme que les autres peuvent mirer, avec dans les yeux les étoiles du rêve.

C'est peut être un peu "fleurs bleues" et romantique, mais je pense que le Poète incarne l'Amour, ou plutôt, ce par quoi l'amour prend sa forme la plus adéquate. On a beau l'enfermer dans des raisonnements logiques comme en Socio-biologie ou en Sociologie de l'amour et de la sexualité. Rien ne vaut la logique propre du poème et du poète, rien ne vaut cette irrationalité contrôlée et régulée par sa seule puissance et sa seule joie.

Je ne me juge pas poète. J'essaie en revanche d'écrire de la poésie. C'est pour mes amis, mes amours, mes joies et mes peines, que j'écris. Pourquoi j'aime écrire? Parce que j'aime avoir un contrôle sur ma vie. J'aime donner une certaine coloration à des évènements qui étaient trop rapides pour être précisément pignochés de couleurs. Parce que parfois, dire les choses c'est les faire exister comme on le souhaite. Et si alors on nous somme de nous arrêter parce que nous nous berçons d' illusions, alors nous répondrons:

"Et vous, est-ce que vous, vous avez le courage de rêver votre vie comme je le fais?"

mercredi 10 novembre 2010

Sous le pont Mirabeau version Japonaise

"Bonsoir, je voudrais étudier un magnifique poème de Guillaume Apollinaire. Il s'appelle le Pont Mirabeau."

J'ai reçu un coup de téléphone de Riuji hier soir. Ruiji est mon élève japonais. Elève, oui. Ca y est, je suis sacré professeur de français depuis maintenant plus d'un mois. Enfin, ce n'est pas un travail rémunéré. Disons qu'il s'agit d'un échange: une demie heure en français, une demie heure en japonais. Mais notre échange s'est vite transformé en un repas hebdomadaire, où une charmante damoiselle nous accompagne, comme fascinée par ce grotesque brouhaha linguistique qui se joue entre les tout nouveaux catcheurs de la langue de Molière.

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
            Et nos amours
       Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine

     Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure

Riuji est vraiment différent des japonais que j'ai rencontré jusqu'à maitenant. Il étudie le français, et pour une fois, ce n'est pas parce qu'il a passé une semaine à Paris pendant les micro vacances annuelles de ses chers parents. Le Français, il l'a aimé de part la littérature et la musique classique. Quelque part, cela fait de lui quelqu'un d'un peu élitiste, mais aussi quelqu'un d'exigeant. Il me parraît étrange de voir un Japonais passionné par la culture de mon propre pays. D'un côté, peut-être qu'ils trouveraient ça étrange si je commençais à faire du Kabuki et si je leur disais que j'avais eu envie d'aller au Japon en lisant Mishima plutôt que Naruto. Les Japonais, du moins, l'échantillon que je peux voir à Sophia, comptent une bonne brochette de joyeux cinglés. Lors du festival de Sophia par exemple, j'ai assisté à un concert de percussions Brésiliennes où le leader se roulait littéralement par terre. Peut être souffrait il d'une soudaine gratelle? Peut être la farine sous ses narines n'était pas de la farine? Peut-être simplement qu'il a trouvé sa voie dans une folle passion des arts-gaijins. En tout cas ce qui est sûr, c'est que quand on décide de délirer au Japon, on délire jusqu'au bout. Pas de quartier.

Mon cher Riuji par conséquent, a décidé de se mettre au Français, et après trois mois de pratique, nous voici déjà dans Balzac, Rimbaud et Apollinaire. A quand Marcel Proust? Ils sont fous ces japonais, dirait Obélix le Gaulois.


Les mains dans les mains restons face à face
            Tandis que sous
       Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

     Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure
 
"Les mains". Riuji est un fanatique de musique classique et de piano classique. Ainsi, aujourd'hui, pour échapper à la routine du cour, nous sommes allés tous les trois à la salle du piano du campus. Les mains sur le piano alors, j'ai pu jouer un peu, pour la première fois depuis deux mois maintenant. Soulagement. C'est étrange d'ailleurs d'éprouver ce sentiment là pour un bête piano, après un bête morceau. La musique comme langage universelle: j'ai été content d'être applaudi par un japonais! "La musique est un langage universel mon fils" (Merci papa - -")

"les éternels regards". Regards croisés: "Oh mon Dieu, un Gaijin!". Cela arrive plus souvent dans le métro qu'à Sophia, fac internationale par excellence. Mais on reste un gaijin, quoi que l'on fasse. C'est parfois la distance que je sens avec mon élève. Et alors je me demande: n'est-ce pas seulement qu'un problème de langage? Parce que même si la culture est différente, ne serait-il pas plus facile de l'expliquer dans la même langue?
Nos cours se passent de la manière suivante. Je prends mon costume de prof sévère et organisé, je décide de bannir l'anglais. Le Japonais d'en face alors se met à pâlir et dit immédiatement "Sorry but I have to go to the toilet". Je ris intérieurement: "il ne m'échappera pas, MOUHAHAHA". Généralement, je le fais parler, puis le corrige. Je lui fais lire des textes, on discute ensemble de poèmes qu'il aime bien. Toujours la question "Pourquoi?" à chaque fois qu'il ne répond que par oui ou non. L'enfant balbutie et marmonne mais ce fait comprendre. Et l'enfant te sort des phrases du genre: "l'eau représente l'amour et le temps, qui coule sous un pont". Après une demie heure de labeur et de transpiration, l'enfant dit alors: "Let's speak in Japanese for now". Aha, et moi de dire: "Sorry but I have to go the toilet"..."oh mon dieu oh mon dieu, il faut parler japonais!" (rire intérieur). Nous avons passé la première séance à répéter 50 fois "watashi wa". Tel un lutteur, je regardais mon bourreau avec une sérieuse envie de meurtre mélangée à la culpabilité de ne pas avoir la bouche formée pour réciter ses stupides syllabes japonaises (enfin c'est l'émotion, pardonnez).

J'aime bien parler avec Riuji surtout parce qu'il a le don de se foutre magistralement de ma gueule à chaque fois que je dis une connerie. Il est généralement rare qu'un japonais se moque de vous quand vous faites des erreurs en japonais. Mais bon, j'aime bien la franchise, même si elle est cruelle. "Watashi wa...." et automatiquement "Hihihihihihihihi" (prenez le rire démoniaque des méchants chinois dans les films hollywood et vous avez le scénario)
L'amour s'en va comme cette eau courante
            L'amour s'en va
       Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente

    

Quand j'ai relu le Pont Mirabeau avant le cours, j'ai été pris d'un petit sourire ironique qui se mélangeait joyeusement à de la tristesse. Je n'aimais pas vraiment beaucoup ce poème avant. Je ne le comprenais pas. Il est drôle de ne pas comprendre les choses à un moment donner et d'y rentrer plus tard, en se trouvant stupide de ne pas avoir accordé la bonne corde au bon moment. Le poème est arrivé à un drôle de moment. Comme si j'étais sur le Pont Mirabeau. Vous objecterez une identification stupide et adolescente. Peut être: mais Apollinaire a Tokyo, je sais pas pourquoi, ça résonne, ça brille. Le poème m'a pris: qui aurait cru qu'un poncif de la littérature française m'aurait fasciné au Japon? Comme quoi c'est en allant loin de chez soi qu'on se rend compte de certaines choses. Enfin, le contexte personnel s'y prête aussi. Merci Riuji!

"Et comme l'Espérance est violente". Mon humeur sinusoïdale et élégiaque y a d'abord trouvé une source de drâme impressionnante. Après quand on prend un peu de recule, on réfléchit à l'espérance et on la trouve ridicule. L'espérance est-elle une absurdité? Je ne sais pas. Mais ce qui est sûr, c'est qu'elle nous propulse vers quelque chose qui n'existe pas, et nous alliène dans notre appréhension du présent. Certains objecteront que le présent n'existe pas. Je ne sais pas, je doute parfois quand à la possibilité d'un bonheur présent. Cependant, la réalité n'est qu'un présent, une succession de présents. Enfin bon, du bavardage verbeux et spirituel tout ça. Entre ce que disent le coeur et l'esprit, il y a un monde (Dressez vous contre le dualisme!). La sensation est toujours la plus forte, le sentiment et l'expérience aussi. L'espérance est violente? Mais n'est-elle de l'esprit? A quand la sensation qui submergera l'espérance?


Passent les jours et passent les semaines
            Ni temps passé
       Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

     Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure

Cela fait maintenant près de deux mois que je suis à Tokyo. Le temps passe à une vitesse qu'il n'est permis d'imaginer. Il est parfois dur de trouver sa place dans cette année particulière. Année sans réel but, année de repos avant l'entrée dans la vie un peu plus active, j'avoue avoir eu un peu de mal à m'habituer à la grande Tokyo, aux récents et douloureux changements de ma vie, et surtout au futur pour l'instant vide de projets qui se profile. Le nombre de bières écoulées ne m'a pas vraiment encore montré la voie de la sagesse au Pays des Fourmis. On ne s'y sent pas bien. On ne s'y sent pas mal. C'est un entre deux, comme un peu partout. Pas envie de rentrer en France, pas envie de repartir en arrière non plus, même si parfois la nostalgie guette un peu.

Nous ne sommes nulle part. Nous sommes dans une année où être perdu n'est pas un luxe mais un mot d'ordre. Certains retombent rapidement sur leur pattes et trouve de quoi orienter un peu le chaos de l'égarement. Parfois il faut un peu plus de temps. Et tout avance grâce au présent. Ce qui, je dois bien l'avouer, lui fait une belle jambe à ce salaud!

 Vienne la nuit sonne l'heure
     Les jours s'en vont je demeure