mercredi 20 avril 2011

Sakura



Au mois d'Avril, les Japonais fêtent Hanami. (hanami), se compose de  , la fleur (hana) et de , regarder (mi). Les familles, les couples ou les amis se rassemblent dans les jardins, pour chanter, parler, manger, et contempler les fleurs de cerisier, qui apparaissent au début du printemps. C'est un moment de beauté éphémère, où le rose prend toute sa dimension. Quand je suis arrivé au Japon pour prendre mes affaires, les cerisiers étaient encore en fleur.

Je quitte le Japon. Pour de multiples raisons, toutes aussi bonnes ou mauvaises les unes que les autres. Je n'ai pas envie de quitter le Japon. Mais les choses se passent différemment. Et j'y reviendrai, car quelque chose n'est pas achevé, car je n'en ai vu que la moitié, et que je ne connais pas encore la langue. Mais aussi parce que j'ai rencontré des gens.

On ne peut pas fuir sa tête. On ne peut pas s'enfuir de soi-même. Où qu'on aille on peut être heureux ou malheureux. Ce qui compte, à un moment donné, ce n'est pas où on est, mais avec qui on est. Car s'il y a une chose importante, une chose qui lie tout, qui est le "petit quelque chose" qui manque, c'est l'Amour. Que ce soit l'Amitié, ou l'Amour pur, on ne peut rien faire sans lui. Ce poncif est pourtant tellement bêtement vrai. Sur un grand arbre solide mais sans feuille, c'est un peu lui qui ouvre les fleurs de cerisier. Et l'Amour implique invariablement l'Autre. L'Autre, alors, même s'il peut être aussi le pire des bourreaux, colore notre existence.
Quand je suis rentré au Japon, je suis tombé amoureux deux fois. Ou plutôt, j'ai aimé plusieurs fois. J'ai remis ma tête en place, ressenti mon cœur vibrer, au rythme d'un pays qui, malgré la catastrophe nucléaire actuelle, porte en lui des cerisiers qui ne s'arrêtent jamais de fleurir. Peut-être était-ce parce que je restais peu de temps? Peut-être était-ce à cause du syndrome du départ? Peut-être était-ce tout simplement parce que j'avais besoin de vibrer? Quelle importance? Pendant quatre jours, j'ai contemplé les fleurs de cerisier, et ceux qui ont fait de ce semestre, un moment très particulier.
***

Chihiro

 Il faisait nuit. Le soleil s'était enfui derrière les grattes-ciels de Yotsuya. Le vent soufflait légèrement. Un vent frais caressait les fleurs de cerisier dans la nuit. Toute la promenade de Yotsuya était bordée de cerisiers. Il faisait nuit, et Chihiro était la plus belle. Chihiro est une grande jeune femme. C'est plutôt rare pour une japonaise d'être grande. Elle a ce magnifique visage serein et digne. Une espèce très particulière de classe, que seules les femmes japonaises ont. Une dignité cachée, une pensée qui ne se révèle qu'à travers des symboles. Des lèvres soigneusement fermées, comme pour profiter de chaque instant que la nuit qui perce les branches des arbres noirs.

Nous nous sommes rencontrés plutôt tardivement. Elle m'a aidé à trouver une troupe de théâtre. Nous nous donnions rendez-vous dans un café pour parler japonais et français, et puis finalement simplement pour parler.

Ce jour là, Chihiro m'a demandé si j'avais célébré Hanami. Et moi de répondre par la négative, elle m'a simplement dit 残念, et son visage de dire: "C'est tellement dommage". Alors elle m'a amené près des cerisiers de Yotsuya. Je revenais tout juste de l'aéroport. Alors j'ai posé mon gros sac par terre. Il faisait un peu frais. Et Chihiro s'est adossée contre la barrière. J'ai fait pareil. Les fleurs dégageaient une atmosphère unique. Une incompréhensible paix intérieure. Il y avait un grand silence digne. Et Chihiro était la plus belle.

Parfois, on se demande pourquoi on ose pas. Pourquoi il est aussi difficile de s'approcher et d'expliquer simplement ce que l'on pense aux gens qui sont juste là. Pourquoi les fleurs de cerisier volaient dans ses cheveux noirs. Pourquoi il y avait cet incompréhensible silence, ce flottement dans l'air, ce moment contingent où tout peut changer en l'espace d'un instant. Pourquoi on a pas le temps.

Dans le ciel noir, Chihiro apparaissait clairement comme la lumière apaisante. Son rire de cristal. Et son grand corps harmonieux. Je me suis senti bien, presque vacillant, comme si petit à petit, les problèmes s'évaporaient. Comme si ce pays m'offrait enfin toutes les possibilités que je cherchais.

Il faisait nuit. Et Chihiro était la plus belle.


***



Impressions éparses...

Je n'ai pas vécu un coup de foudre avec le Japon. Pour de multiples raisons, les débuts ont été plutôt difficiles. C'est donc venu doucement, mais surement. Mon départ pour le Vietnam, et les deux mois et demi de pérégrination en Asie ont achevé de me convaincre que le Japon était un pays unique qui possède beaucoup de richesses auxquelles je serai sans doute sensible. C'est souvent les choses que l'on met du temps à aimer qui finalement se révèlent les choses que l'on aime le plus.
(...)
La langue japonaise. Je ne suis pas mauvais en langue, je ne suis pas bon non plus. Toute langue demande un effort, un effort vers l'autre et une rigueur sur soi. Le Japonais est une langue exigeante, précise, structurée, rythmée et sensible. Elle est, contrairement à l'imitation vulgaire que l'on peut en faire, très douce et chantante. Son écriture cumule la puissance des caractères chinois et le pratique des caractères japonais. C'est une langue plutôt harmonieuse, je dirais.

(...)

La catastrophe a été terrible dans le Nord mais la vie semble normale à Tokyo. Il y a quelques petites choses étranges cependant. Il n'y a plus de lumière dans le métro. Certains escaliers roulant ne fonctionnent plus.  Les lumières de Shinjuku et Shibuya ne sont plus toutes vives. Il n'y a plus d'étudiants étrangers à Sophia. Il y a toujours ce doute, sur le nucléaire, sur ce qu'on nous dit et ce qu'on ne nous dit pas. Enfin, croisons les doigts.

Masaya


Quand je marchais pour me rendre à Ni-chome avec Nathan, je pouvais voir les fleurs de cerisier au loin, à Shinjuku Gyoen. Il y avait déjà déjà pas mal d'alcool dans mon corps. Il y avait un peu de malice dans les yeux. Je crois que j'ai passé cette soirée à boire, ce qui m'est arrivé fréquemment à Tokyo. Ce qui me fait rire, c'est de voir à quel point mon niveau de tolérance a augmenté. C'est simplement que je peux maintenant boire de l'alcool sans me ridiculiser. Tokyo aurait-elle fait de moi un alcoolique?

Dans cet endroit il y a des hommes qui aiment les hommes, des femmes qui aiment les femmes et parfois des hommes qui aiment des femmes. Dans cet endroit, il y a une explosion d'hormone, de danse et d'alcool. C'est plutôt drôle, c'est plutôt libéré, mais c'est aussi un peu étrange, un peu malsain. Comme s'il y avait une espèce de narcissisme, une espèce de légèreté symptomatique d'un malaise ambiant. Comme une désillusion, dans un monde où les hommes dansent comme des femmes, et les femmes comme des hommes.

La devise: "Sexe, accordéon et alcool".

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

Charles Baudelaire, A une passante,
Les Fleurs du Mal

C'est ce soir là que j'ai rencontré Masaya.
De grandes oreilles. Un jean retroussé. Des baskets dorées. Un pull autour de la taille. Des yeux qui clignent sans cesse à cause des lentilles de contact.

Masaya dansait langoureusement. Un peu trop langoureusement, en s'accrochant autour du poteau en mode gogo-danseuse. Plus on s'approchait, plus on voyait que son regard ne regardait pas mon visage. Ses yeux regardaient ailleurs. Peut-être que ses yeux regardaient quelqu'un d'autre. Mais dans ce lieu là, il n'y a pas vraiment de constance. Tout est plutôt contingent. 

Il y avait quelque chose de spécial dans ses mots, dans sa paroles. Il y avait un contrôle, une assurance qui étrangement m'en donnait aussi. Plus j'étais en sa compagnie, plus je sentais que je voudrais y rester le plus longtemps, découvrir sa richesse, son mystère. Il y a eu quelque chose qui s'est éveillé en moi, en plus du désir qui augmentait de part le jeu qu'on me faisait consciemment subir.

Masaya cherchait sans doute quelqu'un d'autre que moi. Mais moi, je ne sais pas pourquoi, je savais que je valais mieux. Je ne sais pas pourquoi j'ai eu ce sentiment d'intense puissance. Alors, dans le noir, j'ai attrapé sa taille, je l'ai serrée contre moi et j'ai murmuré dans ses grandes oreilles: "Les gens ici ne valent rien. Danse plutôt avec moi". Ainsi je tenais entre mes mains ce corps un peu absent. Je me sentais fébrile, je passais ma main dans ses cheveux sans vraiment comprendre où les siennes se promenaient. J'avais avec moi la preuve même de ce qui nous rend tous fous: de ne pas contrôler l'Autre, de ne pas savoir ce qui se passe dans la tête de l'Autre. Sa danse m'hypnotisait. J'ai soupiré. Ce fut peut-être un soupir qui fit fuir. Et son ombre s'est enfuie dans la nuit. Mais était-ce vraiment une fuite?
Nous nous sommes tout de même retrouvés tous les quatre pour manger. Masaya avait toujours ce regard souriant et charmeur. Le soleil se levait à Shinjuku. Quand je suis sorti du Jonathan, j'ai vu son beau visage que j'aurai aimé garder pour très longtemps dans mes yeux, dans mes bras. Sa bouche très japonaise, qui avait étudié le Russe, a alors chanté:

"Nous aurons pour nous l' éternité
Dans le bleu de toute l' immensité
Dans le ciel plus de problèmes
Mon amour crois tu qu' on s' aime
"
Edith Piaf, L'hymne à l'amour

***

A Hanoi, je m'en rappelle encore. Ce moment aussi éphémère, comme une fleur qui tombe par terre. J'y pense, j'y reviendrai, la vie semble tellement plus pleine de possibilités maintenant. Tout est encore possible.

Il y a tant de choses que nous n'avons pas encore ressenti.



***
Thaïs

Quand j'ai revu Thaïs, je ne l'ai pas reconnue. Elle avait des cernes, était toute grise, fatiguée, peut-être même déprimée. Thaïs avait un peu moins de couleur que d'habitude. Parce que ce qui caractérise Thaïs, c'est bien la couleur.

La première fois que j'ai vu Thaïs, j'ai été surpris par les couleurs que présentait sa jupe. Des talons hauts, très hauts, qui la grandissent encore plus qu'elle est déjà assez grande. Une explosion de couleur. Thaïs, c'est comme une fleur dont le pollen vous irrite le nez. Elle est magnifique mais elle peut être énervante. Thaïs au début m'a un peu irrité. Grande confiance en elle, personnalité dévorante, apparente frivolité, légèreté. Mais il faut toujours se méfier des premières impressions: ça s'est une vérité universelle.

Lorsque l'on va cueillir Thaïs, on se rend compte qu'une fleure peut être déjà un bouquet. Quand Thaïs donne, elle donne en entier. Ce qu'elle pense, elle le dit. Et ce qu'elle aime, elle le dit. Mine de rien, j'ai rencontré finalement peu de personne qui était vraiment capable de dire leurs véritables sentiments à quelqu'un. Peut-être cela vient-il du fait qu'on croit que dire ses sentiments est une faiblesse. Mais n'est-ce pas plutôt un courage et une force d'aller vers l'autre jusqu'à lui dire qu'on l'aime? On est finalement beaucoup plus fort quand on est capable de mettre des mots et de les présenter à l'autre.

Thaïs ne prend pas de gants, et fonce sans se poser trop de questions. Entière, c'est une fleur qui n'a pas besoin de se cacher des abeilles. Qu'on ait du mal à la suivre ou pas, qu'on ait du mal à la comprendre, Thaïs c'est pour moi un peu comme le Japon, quelqu'un que j'ai appris à aimer, et que je ne pourrai pas oublier. Il faut aller cueillir les plus belles fleurs, même si parfois certaines semblent pleine de pollen.
Avant de partir, Thaïs m'a pris dans ses bras. J'ai encore une fois vaciller, car il est dur de ne pas vaciller devant une jolie fille. Thaïs m'a pris dans ses bras, je voyais encore au loin les fleurs de cerisier tomber, l'eau de la rivière au loin qui faisait un petit bruit, qui faisait du Café un parc où les rainettes sautaient innocemment. Dans le grand champs furibard de fleurs à l'abandon, où le fossé est grand, et loin est l'horizon.
Il faut que je revois Thaïs.

***
Endormie les cheveux mouillés
Bras repliés
Retrouver les fenêtres ouvertes
L'air par la fenêtre

Pour que l'amour me quitte
L'amour me quitte
Pour que l'amour me quitte
Amour
En dormant j'ai rêvé
Des mille lianes
Pagayé, pagayé
Pour que l'amour me quitte
L'Amour me quitte
Pour que l'amour me quitte
Amour
Réveiller la lumière pâle
Des murs de l'hôpital
Trop aimer, c'est pas normal
Un cœur si mal
Accroché, décroché

Pour que l'amour me quitte
Amour

Camille, Pour que l'amour me quitte

***


Yuuki

Hayashi Yuuki. “林” (hayashi) veut dire « bois » en japonais. Yuuki a donc une relation forte avec les forêts...ou pas.

Yuuki a une particularité. Dès que l'ombre d'un appareil photo apparaît, ses deux doigts se tendent en V de la victoire. C'est un peu comme un ressort, comme un automatisme, comme si tout ce qu'il y avait de plus japonais sortait en lui à ce moment même, pour faire un V de la victoire sur une photo. C'est, chez lui, systématique.

Yuuki n'aime pas les moments de vide dans la conversation. Dès qu'il y a un blanc, il trouve un sujet, une réplique. D'un côté, je le comprends bien. J'ai horreur du silence également, comme si ma vie dépendait d'un son émis, le silence achevant ma confiance à coup de couteau à cran d'arrêt. Ainsi, avec Yuuki, on peut discuter jusqu'à 5 heures d'affiler, sans vraiment voir le temps passer.

Yuuki évite les questions profondes, et ne se moque de personne. Généralement, il est plutôt rare que les japonais se moquent ouvertement des gens. L'ironie n'est pas la forme principale de l'humour japonais, ni la caricature. Parfois, j'ai cette impression que les français sont les champions de l'humour désabusé. Nous passons notre temps à nous critiquer les uns et les autres, à nous moquer des uns et des autres. La France, c'est un peu le pays du bon mot, de qui sera le plus malin. Non pas qu'il n'existe pas de choses similaires au Japon, c'est simplement que l'Autre est beaucoup plus respecté, le-dit respect étant même enraciné profondément dans la langue japonaise.

Yuuki est la sociabilité incarnée. Il apprend l'anglais, l'italien, le français et le coréen, pour pouvoir parler avec le plus de gens possible. Il connait tout le monde, et tout le monde le connait. Difficile de résister, car Yuuki est un beau garçon, souriant, dévoué, sympathique, drôle. Le genre de personne qui vous fait aimer le Japon de manière inconditionnelle.

Je ne sais pas si je me fais une représentation surfaite de ce pays. En tout cas, j'ai découvert chez certains japonais des traits qui coloraient à eux-mêmes le Japon dans son ensemble. Non pas qu'il s'agisse d'un pays de saints bien-gentils et innocents. Soyons clairs, tout pays a sa proportion d'enfoirés. Mais on a quand même fichtrement l'impression que la proportion d'enfoirés est bien moindre au Japon que dans d'autres pays. Pas étonnant que cela soit un des pays les plus sûrs du monde, en terme de criminalité et d'insécurité.

Yuuki connait tout le monde. Et même parfois, une jolie fille se met derrière lui, met son bras autour de ses épaules, murmure quelque chose en riant et part. Je me demande jusqu'à où peut aller la sociabilisation japonaise! Et Yuuki de rougir:  “はは、友達です” (« haha, c'est juste une amie »). Oui: et les cochons volent peut être?

Avant de partir, pour une raison que j'ai oublié, Yuuki s'est royalement foutu de ma gueule! Et là, je l'ai regardé dans les yeux, avec un gigantesque sourire. Car quelque part, si on en arrive même à un point où un japonais se fout gentiment de votre gueule, cela veut dire quelque part qu'un stade de familiarité a été passé. Alors pour lui dire au revoir, je l'ai serré à l'étouffer. Il fallait dévorer sa vanne et la mâcher avec délectation. Il fallait l'étouffer à la bonne française. Victoire! Être ami avec un japonais: impossible n'est pas français. Être ami avec Yuuki: よかったね!

***

C'est juste une pause, c'est juste le début. Ça va être encore mieux après. Respirer, respirer enfin, respirer enfin le vent qui souffle dans les cerisiers en fleur. Il n'y a pas d'autre bruit que celui de Zéphir. Et peut être aussi au loin le son d'une clochette. Et le murmure:

さくら
さくら”


***

Delphine


Je pense qu'il fallait que mes derniers moments au Japon se passent avec Delphine. Pendant une grande partie du semestre, Delphine a été mon double, celle qui m'a aidé à m'intégrer ici, et surtout celle en qui j'avais le plus confiance.

Delphine est discrète. Elle ne se mettra jamais en avant. Elle n'aime peut être pas ça dans le fond. D'une beauté discrète mais bel et bien présente, son rire brille dans la nuit, laissant échapper un son fluorescent rose et jaune.

Il faut parfois aller au delà du rire fluorescent pour percer ce qui va et ne va pas. S'accommoder de la différence de l'autre: accepter que certaines personnes n'aiment pas matérialiser par la parole ce qui se passe vraiment dans leur tête. Il faut accepter les secrets.

Les gens qu'on aime, on les trouve toujours beaux. Tous ceux que j'ai cité sont beaux. C'est du Spinoza. C'est parce que nous nous efforçons vers les choses que celles-ci nous semblent belles. Ils augmentent notre puissance d'agir: comment les trouver laids? Avez vous beaucoup d'amis que vous trouvez laids?

Delphine porte un pull qui, comme le mien, possède deux trous sur chacune des manches, sous les aisselles. Quand nous nous étirons pour bailler, notre radinerie nous saute au visage, avec un éclat de rire. A quoi cela sert-il de s'acheter autant de choses? De consommer autant? Delphine et moi avons été plutôt choqué par le consumérisme ambiant qui règne à Tokyo. De la folie de consommation frénétique qui agite les Tokyoites.

C'est une personne que je ne pourrai pas ne pas revoir.

Ainsi, à Mitaka, je lui ai dit au revoir pour la dernière fois avant le grand départ vers l'autre monde. « On se parle sur skype? Hein? » « Oui, oui, promis ». Promis.

それで、ありがとうございます。

***
Un coup de vent chasse les fleurs qui sont tombées pour laisser la place à l'arrivée de l'été. Un été long et chaud, sans aucune odeur de mort. Un été dans une autre dimension, avant de rentrer en France. Pas encore envie de rentrer. Juste envie de fermer les yeux et d'entendre

さくら
さくら... »

jeudi 7 avril 2011

L'homme des sables

Your shoulder
The mooring for me
Like water lost in the sea
 Feist




Après réflection, je pense que je vais mettre fin à ce blog. Se méfiez de l'eau qui dort? Peut-être avez vous déjà compris, chers lecteurs, ce que cela voulait dire. Rien n'est calme sous l'apparente immobilité des choses. Tout bouge et change, pour le meilleur et pour le pire.
Peut-être que ce blog a commencé pour de mauvaises raisons. Je quitte le Japon pour le Vietnam, les récents évènements m'empêchant de rentrer et de poursuivre mon année là-bas. Je ne m'étendrais pas là-dessus.
Je vous remercie tous de m'avoir lu et de m'avoir encouragé dans mes démarches. L'écriture ne s'arrête pas pour moi en tout cas. Peut-être que je recommencerai un autre blog, quand j'en aurai le temps.
On verra. Inch' Allah

En attendant, un poème de sable et d'eau, comme ce qui a composé ce blog, du début à la fin.




 



mardi 5 avril 2011

Extrait choisi- Work in progress


EPILOGUE
Personnages
A
B

Scène bleue nuit. Une chaise avec des accoudoirs posé de coté. Assis sur elle, A, avec un cahier. B est assis en face sur le sol, s'adossant sur la chaise, les jambes lasses. Ils sont habillés en costumes blancs légers, type colonial. B semble assoupi. Même scène qu'au départ.


A: Tu m'écoutes?

B (semblant un peu surpris): Désolé, je me reposais les yeux.

A: Il est si tard. Tu veux aller te coucher?

B: Non, non. Il fait si bon dehors. Aujourd'hui, c'était l'enfer. Profitons-en. Lis moi encore quelque chose.

A: (amusé) Aha, mais si je continue je risque vraiment de te perdre.

B: Me perdre? Mais voyons, tu sais bien que ça n'arrivera pas.

A: C'est drôle, mais j'ai eu cette impression de te perdre aujourd'hui même.

B: Ah bon? Et quand?

A: Quand nous étions près du Lac, pour notre promenade. Un moment, je t'ai vu te pencher au bord du Lac, tu n'écoutais plus ce que je disais. Un peu comme si tu allais te jeter dedans.

B: Ne t'inquiète pas, va. Tu ne m'as pas perdu.

A: Il m'a semblé, le temps d'un instant. Avec toi, on ne sait jamais.

B: Peut-être.

A: Parfois, on perd l'autre sans se rendre compte...attends, j'ai quelque chose pour la situation.

B (d'une voix calme et détendue): Je t'écoute.

A: ( lecture de ce qui est dans le cahier)

 "L'aube se lève, et il n'y a pourtant plus aucune autre envie en moi que celle de ne plus vivre comme je vis maintenant. Dans les rues de la ville, les marchants s'activent doucement pour ouvrir leurs commerces. Les femmes se lèvent pour aller chercher les marchandises. Les enfants se préparent pour aller en classe. Et moi je marche. Je marche au milieu de la terre qui se lève, et je ne ressens rien.
Il y a sur les pavés de la rue, le reflet sans fin de ton image et l'image nette de la déesse. Il y a alors l'Amour. Cet amour qui m'emprisonne même jusque dans les pavés de la route, qui soudain, sont nettoyés par la pluie. La pluie me murmure à l'oreille comme la déesse. La déesse qui n'a d'existence que parce que tu es là.
Au fond de moi, il y a des bruits, de la fureur et l'absence profonde de continuer à vivre. Mais il y a aussi l'Amour, qui sous la pluie, reprend les reflets bleus de nos mirages. Mais ce sera un amour différent. Ce n'est pas une obsession. Ce n'est pas une passion. C'est ce qui donnera envie d'être libre. Le soleil, qui monte de plus en plus haut, bien que pâle, bien que glacé, émet une lumière infinie. L'Amour, rien d'autre que tes baisers. L'amour, sans cesse à réinventer."





dimanche 3 avril 2011

Bonjour Vietnam


Bonjour Vietnam.

Au réveil, avec un parfum de Chine, à Nanjing ou à Pékin.

Entreprise toujours égocentrée d'essayer d'attraper le stream of consciousness. N'ayez pas peur de l'excès de « Je », car c'est une expérience plus qu'autre chose.

« Je » est allé au Vietnam pendant un mois et demi, et a vécu au 11 rue Ngo Huyen à Hanoi.

« Je » a écrit un journal pendant ce temps là, en a choisi des extraits et les a mis ici, agencé et retouché un peu parfois.
« C'est un peu comme si j'avais toujours été une goutte de pluie, attirée par la grande surface lisse de l'eau, pour réveiller l'eau qui dort, et en faire un océan déchainé. »

Le voyage. On est toujours sur le départ, et en même temps sur l'arrivée. On a ce sentiment étrange, où on sent vraiment l'instabilité de notre identité, tout en étant entre une grisante situation d'être et un inquiétant sentiment de n'être plus rien du tout.

Voyager seul. Il y a des défauts et des qualités. Le défaut est que l'on est seul, et que la solitude prend un drôle de goût. On ne s'offre pas un bon restaurant quand on est seul. Le bon côté, c'est qu'on est aussi seul. Quand on est seul, on va vers les gens, on rencontre de nouvelles personnes, qui resteront avec nous un moment court ou long. On a cette chance de pouvoir se réinventer l'espace d'un instant, de ne pas être figé dans le regard de ceux qui nous connaissent déjà, et qui nous jugent nécessairement. Et puis on peut écrire un journal...

« Dire que je vais rester toute la journée assise »
Camille, Assise






04/02/2011, Narita, Japon


“Dans l'aéroport, sur le départ. J'avais envie de manger un dernier repas japonais avant de “prendre la route”. C'est marrant comme on peut se faire des films, et donner une signification à ce que l'on fait. « Voyager pour s'appauvrir » disait Michaux. Mais parfois, je me dis qu'il faudrait arrêter avec le cynisme. Finalement, peu de gens font ce que je fais, et c'est pour cela qu'il ne faut pas que je transforme ce que je vais faire en un poncif, ne l'ayant pourtant jamais vécu.

(…)




Pourquoi le Vietnam? Un de mes amis d'enfance est d'origine vietnamienne. Je crois que ça a contribué à mon attirance initiale. Et puis, c'est comme toute l'Asie du Sud-Est: entre l'Inde et la Chine. Et puis, il y a Marguerite Duras, et l'ambiance de ses romans qui sent bon la Cochinchine. Et puis, il y a ce cours d'Histoire du Vietnam, avec pour appui la littérature, qui était passionnant. Besoin aussi de partir, de changer d'air.

(...)

Je serai seul au Vietnam. Cela peut paraître triste, et je le serai peut-être, mais finalement, c'est aussi être plus libre. (…) Non pas une solitude radicale, mais j'aimerais bien être bien avec moi-même et ne pas courir après les autres. Je vais donc me promener, et on verra bien.

(...)

Dans moins d'une heure, je vais me diriger vers un pays communiste sans billet de retour. La chose présentée de la sorte, il y a de quoi se demander si je ne suis pas entrain de jouer les Hô Chi Minh qui va passer ses vacances au Komintern! Bon, si jamais ils se dressent contre moi, j'aspirerai le dragon qui dort au fond de mon ventre, et je ferai face.

C'est étrange comme tout ce qui nous ronge peut surgir à la seconde où quelque chose ne se passe pas comme prévu. Peut-être que mon problème, c'est ça: l'imprévu. J'ai essayé par tous les moyens de comprendre d'où me venait cette faiblesse pour l'improvisation. Il y a toujours ce quelque chose noir, ce pas en arrière, cette incertitude de ne pas faire bien.

(05/02/2011)

A Hanoi, Little Kitchen
(06/02/2011)

Me voici au Vietnam. Mon courage n'a pu m'amener que dans un restaurant pour touriste, et me voici à manger un Cheese Burger. Ce qui est cool, c'est que quand on voyage seul, il n'y a personne pour juger de ce que l'on fait ou dit. (…) Il règne ici une paix que je n'ai connu ici ni à Tokyo, ni à Delhi.

(...)

Les premières impressions sont bonnes. La ville, en tout cas le Vieux quartier est plutôt sympa. Les gens sont beaux. Les femmes sont petites et brunes, belles, parfois immensément belles. Les hommes sont de vrais hommes, très beaux aussi.

(...)

La solitude. Je crois que c'est un thème qui va revenir souvent. Non pas que je la ressente particulièrement. Elle fait peur avant qu'on la vive. Elle fonctionne devant les autres, comme la honte. La solitude est solitude de soi devant autrui. (…) Pour ne pas transformer ce voyage en traversée du vide, qui n'aura à la fin, que le goût bien étrange du sable du désert.

En me promenant dans les rues de Hanoi pour retrouver l'alliance française, je me suis surpris à penser que l'entreprise de s'écrire à soi-même était aussi un art. Quand on se parle à soi, on se parle sans masque, on est en face de ses propres contradictions et incertitudes. On ne se fait pas un cirque quand on s'écrit, quand on se parle. Or, quand on écrit en vue d'être lu, alors notre écriture se transforme. Elle se pare de milles et un reflets d'opales scintillantes.
C'est un peu pareil dans les relations humaines. Quand on est face à soi, on se dit tout et son contraire. On est tout et rien. Mais on devient quelqu'un quand on parle à l'autre. On se pare et se déguise. Mais c'est quand on commence à connaître l'autre par cœur, qu'on découvre que, comme nous, il n'est rien d'autre que du vide, sans cesse cherchant à se définir.


(…)


Les rues de Hanoï sont toujours tranquilles. J'ai réalisé aujourd'hui la frustration que j'éprouve à ne pas comprendre la langue qui m'entoure. Les Vietnamiens parlent l'Anglais et le Français avec le même accent qu'on utilise pour parodier les Chinois dans les films. Parfois, je ne peux m'empêcher de rire quand je les entends, mais je m'arrête généralement assez vite. Difficile de se moquer, même gentiment, de gens qui parlent un langue pourvue de 6 tons différents. Xin loi, Viet nam!

(…)

Tous habillés de la même manière, avec le même sac, dans des hotels « backpack ». J'essaie d'éviter le tourisme à la Lonely planet. Étant donné qu'il s'agit du seul livre que j'ai acheté, le résultat est un peu difficile à atteindre. Alors on arrive dans un endroit indiqué, accompagné de trois autres péquenots qui ont lu la même page, l'air un peu bête en se grattant la tête, parce que comme vous, ils ne comprennent rien au système des rues de Hanoi. Mais bon, ne nous moquons pas du tourisme. Il est quelque part une forme démocratique du loisir, même s'il semble parfois être devenu une industrie.

Aujourd'hui:
-Mausolée d'Hô Chi Minh
-Musée de Hô Chi Minh
-Musée de l'ethnologie

(…)

Hari vit dans le Lac, dans un monde à l'envers. Un monde où tout est plus tranquille, où les êtres humains ne s'enchainent plus. C'est un peu le personnage central, le point de convergence. C'est une déesse qui pousse avec la pluie. Je pense qu'on peut la faire pousser au départ, un peu comme une plante, avec l'arrivée de la pluie. Je pensais aussi à une scène de danse avec John. Une musique douce et triste, où les partenaires de danse s'échangent.(...)

Plus j'écris dans ce journal, plus je me rends compte à quel point je me pose des questions et que je me prends la tête. Peut-être que le but de ce journal, c'est d'arriver à réduire le nombre de question pour arriver à l'affirmation d'un « discours plus ferme et conceptuel », à poser moins de questions et à donner plus de réponses. »


Mardi 08 Février 2011

Les petites femmes de la Maison du droit.

Au Viet nâm, les gens ont des noms simples et des noms de famille compliqués. Ainsi, au Vietnam, on préfère dire Madame/Monsieur+ Prénom.

La Maison du droit vietnamo-française est presque essentiellement occupée par des femmes. Ainsi, petite Ha, la secrétaire apporte les dossiers à Madame Ha, qui va de mander à Mademoiselle Tam, l'interprête, d'en effectuer une traduction. Quand Mademoiselle Tam fait une pause, la jolie Tan passe dans son bureau pour rigoler et boire le thé. Arrive alors Mademoiselle Thoa, qui a l'air si jeune, et qui est « si timide », qu'elle ne peut me parler quand je lui parle en français. Mais bon, il faut travailler, parce qu'à côté, c'est le bureau de Madame Hao, la directrice. Là où je travaille, c'est à dire dans le bibliothèque, en face de mes chers camarades français perdus au Vietnam comme moi, il y a Mademoiselle Thu qui travaille. Mademoiselle Thu ne parle pas beaucoup. Mais Mademoiselle Thu à un cœur d'or. Comme Madame Anh d'ailleurs, la bibliothécaire.
Les Vietnamiennes en général, en plus d'être particulièrement jolies, sont d'une gentillesse remarquable.
Le sourire des Vietnamiennes. On pourrait en parler des heures. Alors pourquoi je n'en parle pas? C'est peut être parce que je le garde dans ma tête, comme un secret, comme un trésor.



Mercredi 09 Février 2011

« Le matin: moto taxi. Il est trop difficile de se lever à l'heure.(...) Une bonne journée avec des rencontre à la fin ».
Parfois, j'ai l'impression d'être Dorothy dans le Magicien d'Oz, mais dans le pays de l'Oncle Hô. Se promener parmi les rues bruyantes et vivantes d' Hanoi, au détour des petits restaurants et des magasins improbables, à rencontrer des regards, des visages.



Vendredi 11 Février 2011

« Les longues guirlandes électriques bleues remuaient faiblement, poussées par la brise qui soufflait. Je suis à la table d'un café, en face de la Cathédrale St Joseph, à Hanoï. »

Samedi 12 Février 2011

« C'est étrange ce sentiment de Damoclès. J'ai toujours peur que quelque chose me retombe dessus, comme le sentiment de solitude. Ne pas se foutre la pression. Tel est le but. (…) Je me sens plutôt bien dans ce pays. (…) Hier, j'ai vu la troupe de Than Hang, ou les marionnettes de l'eau. Art populaire au début, je trouvais ça bric-et-broc, mais en vérité, il faut replacer les choses en contexte. Alors j'ai compris pourquoi les chanteuses avaient l'air détendues... Et puis ce dragon fluorescent. Je me demande si le Parti Communiste a utilisé cet art pour faire sa propagande dans les villages. (...)




Mercredi 16 Février 2011

« Nous avons tous nos petites psychoses personnelles qui sont finalement d'un banal ennui. Les choses sont obsédantes ou ne le sont pas: le silence fait bien taire les êtres. Et on se sent mieux à force d'y croire.
Hanoi est une ville qui me plait. La vie y est douce et mystérieuse, les gens gentils et patients, la triplette « colonialisme, vietnamien, communisme » se réunissant dans une création intéressante et bigarrée.
J'entends le clocher de la cathédrale. Magnifique élément européen au milieu des rues typiquement vietnamiennes. Je sais ce que je veux faire de ma vie. Ou pas. De la politique. Je veux lier l'Art à la politique, fédérer des hommes, réaliser des projets, voyager pour découvrir comment faire à l'étranger pour allier les deux. Mais pas seulement. Plus tard, je veux être heureux. Pour de vrai. Mamamia, je vais finir au Pôle Emploi.

Samedi 18 Février, village de Dong Ky

Ça passe trop vite.
Aujourd'hui, une belle découverte du Vietnam du dehors, ou encore, du dehors de Hanoï. J'ai découvert ce que je préférai des voyages: faire de la route. Sur la route, nous sommes en partance pour un entre-deux plaisant, et nos yeux défilent très vite sur des paysages qui sont toujours différents. Je veux passer ma vie en chemin, j'aimerais faire de grandes routes sans fausses réponses. Les vraies réponses sont celles qui ouvrent encore plus de portes, probablement. Dehors, la campagne vietnamienne, et pas grand chose à part des rizières, à perte de vue. »


 Mercredi 22 Février 2011

« Dans le bus, je suis assis à la fenêtre. Le bus doit dater du temps du COMECON, car il semble tellement vieux, qu'il semble être directement importé de l'URSS. Les vitres fermées sont tellement sales qu'elles n'offrent de la ville qu'une vision grise et terne. Hanoi c'est aussi ça, à l'heure de pointe, quand le soleil se couche, et que toutes les motos rentrent chez elles, dans une tornade de pots d'échappement. Je ne peux penser à autre chose. Mais la douceur de la température, et la faible lueur du soleil parviennent encore à transpercer les nuages lourds de pluie et de pollution.

Je me sens plutôt étrange, assis dans ce bus, brinquebalant au milieu des milliers de motos et de voitures, du ciel qui s'assombrit comme s'il nous conduisait un peu plus vers les ténèbres bruyantes. Je n'ai pas froid. Je n'ai pas faim. Des jeunes filles sont assises à côté de moi, et me regardent avec des yeux étonnés. Il commence à pleuvoir.

Depuis ma chambre d'hôtel, près de la cathédrale, je regarde d'en haut les lumières de la ville. On peut y voir les petits restaurant qui servent les clients assis sur des tabourets en plastique bleu, posés sur les trottoirs. Les routes sont devenues des trottoirs mais aussi la rivière qui laisse s'écouler un flot continuel de véhicules en tout genre. La ville a plusieurs visages et respire sereinement. Il y a de la buée sur la fenêtre. Elle est créée par ma respiration.

Après une douche bien chaude, je me lève et me sèche. Au miroir, mes cheveux sont mouillés. C'est moi, juste en face, et pourtant je ne le reconnais pas. C'est bien les traits auxquels je m'étais habitué. Mais je ne le reconnais pas. Je m'approche du miroir, pose mes mains sur sa surface, comme pour m'assurer que ce n'était pas une porte vers un autre monde. Je ferme les yeux. L'atmosphère de la salle de bain est encore lourde d'humidité. On entend qu'un silence pesant. Mon esprit est vide, sans aucun sentiment, sans presque aucune envie. A mes pieds, l'eau s'écoule doucement vers le syphon. Pendant un moment, j'ai envie de la rejoindre cette eau.
Et puis, pour oublier cette idée qui me propulserait dans l'inconnu des canalisations, je vais faire un tour autour du lac Hoan Kiem, le lac où dort une tortue depuis des siècles.





Vendredi 25 Février

« Quoi qu'on dise. Comment faire? Pour arrêter de penser?

« Les pensées s'enchainent et s'enroulent dans ma tête, sans pour autant me sortir de la misère dans laquelle je me trouve »
Yu Dafu

Je pense beaucoup trop, le problème c'est que ça me semble normal.

Hier j'ai vu une adaptation de La Douleur de Marguerite Duras, jouée par Dominique Blanc. (…) La comédienne a parfaitement bien mené cette dernière partie. Presque obsédante, basées sur les répétitions sur l'occurrence choquante du mot « merde », sur la métaphore du ventre et des plantes, sur ce corps qui se reconstitue petit à petit et ce magnifique « J'ai faim » qui conclue la pièce, sans qu'on s'en aperçoive.

Samedi 26 Février 2011
à Hue

Je suis couché sur mon lit
Et j'y entends le bruit des vagues
Et le bruit de l'eau troublante
Qui se heurte contre ses pieds

Ton corps, comme une vague
Qui enroulé dans les draps noirs
Et les cortèges de fleurs pâles
Respire bien tranquillement

Corps et promenade, dans les rues de la ville
Se détachent des coquilles de son
Des ellipses, callypiges
L'Arbre
Et l'atmosphère rose orangée
Un sourire d'orange
Un œil bleu et un œil vert.

Aujourd'hui, j'ai visité la Citadelle de Hue. Il y avait le drapeau du parti Communiste, qui flottait, gigantesque. Ils se sont infiltrés partout où l'histoire respirait, comme pour lui donner une couleur rouge.




 
Dimanche 27 Février 2011

« Je crois qu'aujourd'hui que j'ai compris qu'on ne peut voyager seul pendant deux mois que sous certaines conditions. D'abord, il faut aimer quelqu'un, et avoir envie de rentrer. Paradoxalement, je pense que ça rend le voyage du coup plus...disons qu'il a un sens, qui n'est non pas une fuite vers un meilleur mais découvrir qu'il y a d'autres endroits merveilleux de part le monde. Non pas que le bonheur est quelque chose qui se vit nécessairement à deux, c'est simplement qu'il doit être partagé.

Parfois, je pense à H. mais je ne me souviens même plus de son visage. Je me souviens simplement qu'elle était un peu différente que celles que j'avais rencontrer depuis lors.

Et puis j'ai voyagé de tombes en tombes. Tombes de Tu Duc, Gia Long, Ming Mang. J'aimerais bien aussi qu'on m'enterre dans de tels sanctuaires, en plein milieux de la forêt. Et que de jeunes gens viennent pécher des poissons, dans mes étangs.







Mardi 1er Mars 2011

Les petites dames du lac Hoan Kiem

Mon train est arrivé à Hanoï à 5 heures du matin. Mon hôtel était fermé. En fait, tout était fermé. De quoi pester contre le monde entier, quand on a dormi 9 heures sur une planche recouverte d'une pseudo-mousse qui sert de matelas.

Un moment assez fantastique où j'ai pu voir, à 6 heures du matin, les hanoiens faire leur footing, et la gym matinale. Un grand moment, quand le soleil se lève sur le Lac, et que tranquille, dans les buissons, autour du lac, sur les place, s'activent les courageuses mamies, pour faire un peu de fitness.

Après j'ai écris ça. Et pourtant, il n'y a pas vraiment de rapport, ni de destinataire.

Bien le bonjour Mademoiselle
C'est la première fois que je vous vois
Qu'est-ce qui vous amène par là?
Ah! La fraicheur du temps
La caresse du vent
Et la fraicheur des arbres


Oh moi! Mademoiselle
Ici c'est ma maison
Elle est un peu conceptuelle
Et parfois même j'y suis bien
En toute saison

C'est une maison un peu crânienne
Où circulent milles en unes pensées
Arborescentes, couleur du ciel
Sur son toit perle la rosée

J'y ai cloué des planches et condamné des portes
Je veux plus laisser entrer de feuilles mortes
Ni les courants d'air froids

Quoi! Mademoiselle
Vous voudriez rentrer?
Et laisser échapper
Votre âme, pourtant si belle
Dans cet esprit bien débraillé.



Vendredi 4 Mars 2011

Ce soir, je n'ai pas envie de lire, j'ai juste envie de changer le monde. J'ai envie d'écrire, mais je n'y arrive pas. Je n'ai pas de constances. Il faudrait que j'écrive plus. Mon ermitage, symbolisé par cette chambre d'hôtel louée pour le mois, ne porte pas vraiment ses fruits. Finalement, je sors plus que je ne reste ici.

Je devrais écrire à propos de ce rêve: Nous étions avec toute la troupe de théâtre de l'année dernière. Nous étions entrain de jouer une scène de guerre: tous arrivait sur scène habillés de blanc, comme des fantômes. Plus de bruits de mitraillette, et tout le monde s'effondre. Glauque à souhait.

Parfois, j'interprète tout pour essayer de donner une cohérence au système. Socialisme, amour des autres, Bisexualité, fusion des arts et de la politique, démocratie.

Des films et Des livres. Des livres vietnamiens, comme Duong Thu Huong par exemple. Les paradis aveugles, un très bon livre, un peu larmoyant, mais très poignant et qui montre tout l'échec du communisme.

Et puis des films aussi.

« J'ai tué ma mère ». Quel film! Xavier Dolan a écrit ce film quand il avait 17 ans. Diantre, il faut que je me bouge le cul! 17 ans, c'est l'âge que j'avais quand j'étais avec elle, que je me sentais plein de vie, et que je voulais écrire: « Ohwo! »

Et puis l'Amour bon sang! Il faut y penser à l'Amour!

(...)

Il y a quatre japonais qui m'entourent. Le Japon se rapproche petit à petit. Le Japon me manque.

(…)

Le Vietnam est un pays où les gens sourient. Mais j'ai raté son sourire ce soir. C'est étrange mais je n'arrive pas à vraiment à m'attacher. Peut-être est-ce surtout parce que je m'en vais bientôt. Ou pas envie de m'emmerder avec ça. Je ne sais pas. Relax, take it easy, Paul.

Huong. J'ai rencontré deux Huong. N'avaient pas le même visage. Sa beauté m'a frappé au visage. Mais qui?


Mercredi 9 Mars 2011

« Et puis il ne savait plus quoi dire. Et puis il le lui avait dit. Il avait dit que c'était comme avant, qu'il l'aimait encore, qu'il ne pourrait jamais cesser de l'aimer, qu'il l'aimerait jusqu'à sa mort. »

Marguerite Duras, L'amant


J'aime ce passage. Il me parle. Je n'y peux rien. J'ai l'impression que mon cœur le scande contre les parois de mon for intérieur, pour faire écho jusqu'au fond de mon ventre, et voir si la phrase sonne bien, comme Gustave Flaubert et son gueuloir. Triste: oui, un peu. Cette douce mélancolie. D'y penser encore.

Non seulement, je suis un ruminant, mais en plus je suis un romantique. Mais pas n'importe quel romantique. Le romantisme est à réinventer, un romantisme qui rend libre. Un romantisme qui ne laisse pas de crottin de cheval sous le balcon. Peut être un romantisme politique qui montre que l'amour peut lier des hommes et des sociétés, sans pour autant les enchainer dans des mots et des discours, à des attitudes préconçues, à des attitudes politiques passivement exécutées. Un romantisme qui ne considère ni le destin des âmes sœurs ni par pur déterminisme social ou naturel. Un romantisme qui accepte que tout n'est que circonstance, et qui accepte la facticité du monde, et l'infini liberté des êtres. Suis-je clair? Pas vraiment.


(…)

Le Vietnam et ses gens, et ses visages, ses bruits. Je n'ai rien vu. Je suis resté un mois et je n'ai rien vu. Et je ne vous ai finalement rien raconté, parce que tout est resté dans ma tête. Et je ne vous montre ici, que mon nombril et le nombril du monde. Étrange expérience.

















 
(…)

Les pensées deviennent de plus en plus rares et secrètes.

(…)

Ouais j'y otage de ma tête
Tout s'que j'vois par la f'nêtre
Déménage dedans

Camille, Assise


(…)

Loin de là où j'étais, il y a eu un tremblement de terre, et puis après plein de choses ont changé. Et j'ai eu alors le sentiment d'être tout vide. Pourvu que tout aille bien. Pourvu qu'ils aillent bien. Pourvu qu'il aille bien. Pourvu que le Japon aille bien.

(...)

Ce que je veux faire dans la vie finalement, je le sais. C'est comme si j'écrivais perpétuellement le livre de celle-ci, en revenant toujours sur les images les plus obsédantes. Je donne alors une couleur différente à chaque fois. Une nouvelle image. Une nouvelle lueur.






 

Lueurs

Sur le plafond bleu et mauve
Ce sont toujours les ombres
Qui chantent, dansent et exhalent
« Les mêmes odeurs »

En fait le soir j'ai plutôt peur
J'ai très peur des lueurs
J'ai très peur de ses grandes ombres
Qui me regardent sans pudeur

J'ai 17 ans
Ou peut être que j'en ai 22 maintenant
Mon ombre n'a pourtant pas grandie
Et reste la même face au soleil

L'ombre s'assied sur mon lit
Je la déshabille lentement
Et un souffle froid m'envahit
La peur: cette peur indescriptible.

Alors que j'étais dans tes bras
J'ai eu peur bien au début
Mais ces bras rassurant on fait de moi un ruisseau
Le temps d'un instant

Sur le plafond bleu et mauve
Ce sont toujours les ombres
Qui chantent, dansent et exhalent
« Les mêmes odeurs »




(...)

Écrire des livres, c'est écrire sa vie je pense. Et si écrire c'est vivre, alors il n'y aura plus rien d'autre d'important. « Il faut écrire des choses importantes. »


« Je crois que ma vie a commencé à se montrer à moi. Je crois que je sais déjà de me le dire, j'ai vaguement envie de mourir. Ce mot, je ne le sépare déjà plus de ma vie. Je crois que j'ai vaguement envie d'être seule, et même je m'aperçois que je ne suis plus seule depuis que j'ai quitté l'enfance, la famille du Chasseur. Je vais écrire des livres. C'est ce que je vais faire au delà de l'instant, dans le grand désert sous les traits duquel m'apparaît l'étendu de ma vie. »

Marguerite Duras, L'Amant




Ulysse et Pénélope


I. Ulysse

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage... »:
Ulysse quitte la berge, il quitte cette maison
La grande maison noire aux fenêtres jaunes
Où l'on ne reconnaît plus son visage.

Devant lui, ma foi, des arbres
Tout aussi sombres
Des étoiles au travers
Et le bruit de l'eau sur l'Océan.

Il n'y a, pour Ulysse, plus vraiment de rivage
Seulement l'eau, puissante et large
Les grandes branches sauvages,
Et les grands anthropophages.

Et Pénélope, le grand Amour
Vogue toujours dans ses pensées
Tout s'efface à part sa lueur
Mais elle a bien le dos tourné.

« L'avenir n'est rien d'autre qu'une fiction du présent »
Se dit Ulysse, les yeux fixant l'étendue noire
Pénélope n'est pas là pour l'aider à voir
Sur ses joues, la larme discrète du vent.

Il y a bien des mois qu'Ulysse est en partance
Ses bras fatigués cherchent encore le chemin
Sans cette peur de voir que devant il n'y a rien:
Perdu qui, comme Ulysse, navigue sur l'errance.



  1. Pénélope



Ulysse n'avait pas de maison
Il avait juste Pénélope
Pénélope était son logis
Et sa raison de vivre

Pénélope était un paysage
L'image même de ses pensées
De ses contradictions sauvages
Des addictions imaginées

Lentement elle tombe sur la pelouse verte
Absente comme toujours, l'eau du rêve
Tombe doucement sur la tapisserie qu'elle ne tisse plus
Et qu'elle a délaissé

Il n'y a ni rêve ni mémoire
Plus forte que la Terre qui tremble
Que les voix mourantes qu'Ulysse n'a pas entendu
Et les vagues dangereuses, invisibles

Si bien que Pénélope, lassive
Toujours ailleurs, sous les ondes
Montre les angoisses primitives
Et la fragilité du Monde

« Et toujours dans son esprit vagabonde »



III-Tremblements

Le ciel orangé et l'asphalte de la mer s'étendent sans qu'on en voit la fin.

Ulysse creuse des trous dans la terre de la barque qui ne le mène nulle part. Il y a autour de lui des bruits de succion, et les visages inquiétants des grands anthropophages. La sueur perle son front; on peut lire dans ses yeux sa détermination et son envie de fuir. Ses mains sont pleines d'égratignures; sous ses ongles la terre sèche et aride de la barque. Car Ulysse a 17 ans, peut-être plus, peut-être moins.

Dans le tumulte, la barque tangue mais les grandes vagues ne l'effraient plus. Monde entier qui s'ouvre pour sourire au visage effrayé du voyageur. Les tremblements de l'eau secouent toujours le cœur d'Ulysse. Mais il creuse toujours au fond de la barque, en contact avec les racines et les pierres. Le trou qu'il a creusé est aussi profond que le cratère qu'aurait creusé une météorite; pendant qu'il s'acharne, des mains lui attrapent les bras et le cou, s'approchent goulument de son oreille. Quand soudain jaillit une lumière.

La lumière du ciel jaillit du trou creusé dans la barque. Comme si la mer du soir, pleine d'étoiles s'écoulait dans le navire devant les yeux éblouis d'Ulysse le magicien. Sous les nouvelles secousses, la terre meuble retombe et rebouche le trou, pensant l'ensevelir. Pierres, racines, eau et toutes les étoiles lactées par l'écrasement du ciel sous la terre, prêt à faire couler la barque dans l'océan de la grande question. Et les anthropophages, de leur bouches énormes qu'on pourrait y loger des comètes, éclatent d'un joyeux éclat de rire que réveillerait plus que le ciel.

Mais Ulysse, presque enseveli, dira toujours:

« Pénélope »