mercredi 2 février 2011

Après un semestre- Jours étranges-Bilan

C'est étrange. Depuis une semaine, je me suis mis à reécouter la bande originale du Fabuleux Destin d'Amélie Poulain. Et ce qui est encore plus étrange, c'est ce que je peux encore ressentir après avoir écouter la Valse d'Amélie. Morceau à midinette que l'on peut jouer facilement au piano, et que l'on peut déballer pour épater les filles et faire pleurer les mères, il a néanmoins quelque chose de magique. Une mélodie simple qui serre le coeur, et qui n'a été inventée qu'une fois. Même après des années, on ressent les mêmes sentiments, et on l'aime, cette romantique musique de midinette.

Je ne sais pas vraiment par où commencer ce bilan d'un semestre. Peut être par cette vision, toujours à propos de la même chose.

J'étais à la porte du train, au Havre. Nous étions tous les deux dans le wagon mais l'un d'entre nous deux resterait sur le quai. Nous ne disions plus rien. Il fallait partir pour vivre des nouvelles choses, comme pour dire autre chose, changer de réalité après avoir passer une année intense qui ne pouvait vivre que sur elle même. "Vis plein de choses, on se les racontera après", que je lui ai dit. Puis nous sommes embrassés, et le train est parti. Depuis lors, tout s'est mélangé dans ma tête. Tout s'est transformé en une autre histoire, qui a commencé par un retour anormal, vibrant d'amour mais aussi non souhaité, qui ne voulait pas qu'une année de bonheur s'en aille dans le placard des bons souvenirs, avec les costumes de théâtre et tous leurs visages lumineux. Et puis s'enchaînèrent  les incompréhensions, les hésitations, les disputes, les méchancetés, la mauvaise foi, le mépris inexplicable. Et puis ce fut la séparation, amère et froide. Pas encore de substrat visible au changement, simplement du silence dans un terrain vague (on peut voir les herbes doucement bouger mais on entend pas les oiseaux chanter.)

 Pourquoi ressasser ça? Peut être parce que ces choses sont bien présentes dans mon esprit. Parce que même si elles prétendent s'effacer, prétendent progresser vers un mieux, elles sont toujours là, quand même. Comme le sentiment que j'éprouve après la Valse d'Amélie. Et pourquoi dans un tel article? Parce que cette histoire a, malgré tous les efforts et toutes les réussites, tout de même coloré grandement cette partie du semestre, mais peut être pas avec la plus belle peinture qui soit. Mon aventure Tokyoite ne se limite bien sûr pas à ça. Mais le Japon, c'est aussi cette histoire, et je ne peux pas le nier.

Je viens de passer presque cinq mois au Japon, dans un des pays les plus développés au monde. En venant ici, je me suis d'abord rendu compte de l'importance qu'il y a à préparer ses voyages et aller dans les endroits que nous envisageons vraiment. Non pas que j'ai commis une bourde monumentale en venant ici. C'est simplement que j'ai trop suivi un troupeau et les certitudes de Sciences po, et que finalement, je suis arrivé ici avec de fausses attentes. Passée cette première difficulté, il faut tout de même retrouver son compte, parce qu'il ne s'agit pas de faire l'enfant gâté qui n'est pas heureux dans un des pays les plus fascinants de la planète! Parce que s'il y a bien une ville fascinante, merveilleuse, grandiloquente, c'est bien Tokyo, la grande avaleuse. Des petites rues comme des grandes avenues, dans un torrent de lumière éblouissant. Des fourmis partout, des magasins partout, de tout partout. Une grande ville produit presque toujours immédiatement une atomisation des individus. Dans une grande ville, on se retrouve vite soi-même un perdu parmi la foule. Se distinguer est difficile. On devient un être humain branché à un téléphone portable, en communion cosmique avec d'autres individus aussi seuls et perdus dans les contacts du téléphone. Mais ce n'est pas forcément triste. Tokyo, ville étrangère, nous ramène finalement à nous même. Car le poncif qui accompagne les voyages est bien vrai: on se découvre bien plus soi même en voyageant. Comme dirait Michaux: "Voyager pour s'apauvrir, voila ce dont tu as besoin". On se déshabille des certitudes, pour se retrouver nu et soi-même, sans rien d'autre qu'une gigantesque page à écrire.

S'il y a bien un bilan à faire au Japon, c'est le bilan des amitiés. Se faire des amis français ou internationaux est une chose plutôt facile et rend le quotidien brillant et lumineux. Tout le monde est dans le même état d'esprit, c'est à dire le voyage et la découverte. Je suis moi-même plutôt surpris par mon aisance à me lier facilement avec les gens de la sorte. Malgré la distance que je garde, comme une habitude plutôt qu'une méfiance, ce sujet là n'est pas très difficile.
En revanche, une des choses assez ardues ici, et peut être la plus intéressante est de se faire des amis Japonais, qui n'ont jamais vécu à l'étranger et qui ne parle pas l'anglais. Non pas que cela soit impossible! Au contraire! J'ai rapidement compris que le problème n'est peut être pas la prétendue distance que les Japonais mettent entre eux et les étrangers, mais peut être plutôt un double jeu de serialité. En se disant que les japonais sont d'avance difficiles d'accès, on se bloque peut être plus, on ose moins aller vers eux, et du coup construire une amitié devient plus difficile. Enfin, un des problèmes majeurs est peut être la langue: parler c'est penser, et parler mal c'est montrer une pensée caduque, c'est ne pas se montrer soi totalement, d'où le temps plus important.

 Ce que j'ai réalisé ici, c'est que malgré les différences culturelles, il y a bien une similitude, un petit quelque chose qui fait que nous pouvons tous nous entendre, en tant qu'être humain. Cette banalité grandiose est en fait plutôt un rejet du relativisme culturel radical. Il y a bien des similitudes entre les japonais et nous même, et peut être plus que des différences. La forme est juste différente, mais comme la forme fait aussi le fond, le fond diffère. C'est un jeu dialectique entre le même et le différent: le Japonais est bien ce charmant concept d'Autrui que l'on étudie en Philosophie en Terminale! Il fallait bien que cela serve à quelque chose!
Alors pour ce qui est des amis japonais: Oui! Oui, doucement mais surement, je me fais des amis japonais. Certains commencent vraiment à s'ouvrir, comme moi je m'ouvre à eux. On apprécie alors le raffinement, cette attention portée au détail et à l'autre, la gentillesse, la politesse, l'intelligence, la beauté, l'humour, mais aussi la timidité, les changements d'humeur, la distance, la peur, la fascination... On expérimente finalement ce qu'on éprouve avec n'importe qui d'autre. C'est juste que tout est dans le désordre, et qu'il faut du temps pour reconstituer le puzzle de la différence culturelle.

Si je suis bien optimiste quand aux japonais en eux même, je le suis beaucoup moins quand à la société japonaise. Peut être cela va-t'il changer au cour de l'année, mais en tout cas, je n'ai aucune envie de faire ma vie ici. La vie des japonais semble être reliée à une seule et même chose, le travail. C'est bien simple, tous les exemples de nos manuels scolaires parlent soit des devoirs que Sato san doit faire en retrant chez lui, soit du part-time job de Moriyama kun.  Ici, le travail et l'effort sont les vertues cardinales de ce peuple laborieux. Un enfant, après avoir quitté l'école primaire, va rentrer au collège puis au lycée, dans lesquelle il va se préparer à un concours d'entrée pour l'Université. Bien sûr, comme ce concours est bien difficile, les plus malins et plus à l'aise financièrement prendront des cours du soir, qui va résumer leur vie lycéenne au travail. Une fois à l'Université, ils étudieront la matière qui les fascine le plus, de l'Art à la Religion en passant par l'Allemand ou les mathématiques. Ils entreront dans un club, qui leur demandra un investissement qui peut parfois aller à trois heures tous les soirs. Ils prendront un baito, ou petit job, pour gagner de l'argent pour s'amuser une fois la semaine. A partir de leur troisième année, ils vont commencer à chercher un travail, assister à des séminaires d'entreprises en tout genre. Et ainsi, si tout va bien, parce que c'est la crise depuis presque 20 ans, ils touveront un métier à la sortie de leur quatrième année. Ainsi, une étudiante en littérature islandaise ou bulgare peut se retrouver banquière, comme un étudiant en "culture et religion" se retrouver dans une entreprise de logistique. Ensuite, dans cette entreprise, ils travailleront toute l'année, avec deux semaines de repos par an, une explosion d'heures à la semaine, prendront le train à minuit pour rentrer chez eux, si ils ne sont pas restés endormis dans le métro après deux heures de transport.
Bien sur cette description est bien arbitraire, manque de précision, est basée sur des observations, et
s'applique beaucoup plus à Tokyo qu'au Japon en général. Elle est aussi peut être un peu exagérée. Cependant, je ne peux pas m'empêcher de penser que ce pays court à sa perte, comme si cette dépression économique depuis si longtemps présente n'était que le reflet d'un pays qui finalement s'ennuie d'avoir tout acquis. Après les toilettes à la lunettes chauffée, le jet automatisé qui vous lave le derrière, et le vibromasseur "Hello Kitty", je ne sais pas ce que les Japonais vont bien pouvoir inventer pour se trouver quelque chose à apprécier, une fois que le capitalisme leur a tout apporté, à part le bonheur et le bien être. Et je ne dis pas ça gratuitement. Je parlais avec mon professeur de littérature, américain, qui adorerait vivre en Europe, parce que "You guys understood that a life where you are working to live is not worth living." Comme quoi, les 35 heures et le mois de congé payé, ça peut faire aussi rêver les Américains et les Japonais, capitalistes sans remise en question.

Remise en question et intégration dans le monde du travail. Comment faire une transition discrète sur moi et ma petite personne. Ce voyage et mon séjour à Sophia m'aura montré que j'avais de plus en plus de mal à supporter le monde universitaire et les cours. En ce moment, je suis complètement perdu. Une vingtaines de Master différents. Une vie pleine d'autres possibilités tellement plus passionnantes. Je ne sais absolument plus ce que j'ai envie de faire de ma vie. Chercheur, politicien, artiste, metteur en scène, tisseur de rêve. Tout faire se révèle impossible. Et tout choix implique un renoncement, un coût d'opportunité. Quelle loi terrible! J'ai 22 ans, et je n'ai plus aucune idée. "On the top of the world, you've got nothing done" dirait Brian Molko. Juste envie de me perdre, de ne plus avoir à penser. De créer, de créer de l'art et de rendre les gens heureux, intelligents, éclairés, conscients, amoureux, outrés, vivants. Mais aussi envie de voyager, de me perdre dans la jungle, au coeur des ténèbres. D'aller dans les ténèbres, que ces mains inconnues me prennent pour faire de moi ce qu'elles veulent, pour faire de moi l'autre.


Arty Farty


"I wanna take you away
Lets escape into the music
DJ let it play
I just can't refuse it
Like the way you do this
Keep on rockin to it
Please don't stop the
Please don't stop the
Please don't stop the music "


La violence et l'alcool circulaient dans mes veines
Quelques neurones se battaient dans mon cerveau
A l'entrée de la grotte, les pâles voix lointaines
Des vampires homnivores, une croix sur le dos.

Dans la nuit sombre sortaient de leurs cercueils noirs
Les grands hommes très hauts, cheveux noirs de jais
Les regards délicieux, dévorant les nuées
Des douces proies sorties tout droit du vent du soir.

On prit alors le fer, me marqua le poignet
Un verre de sang donné, jeté droit dans l'Enfer
Ami à mes côtés, vision de Lucifer
Vision mortifère, nous sommes bien damnés.

Dans la fosse aux vampires, nous nous jetâmes alors
Effrayés avant tout par leurs yeux de saphir
Leurs sourires effrayants, leur calme teint de cire
Les longs doigts silencieux, semblant sceller mon sort.

La musique est vitale, la peur vite s'endort
Autour des êtres humains, que cette envie de jouir
Et d'embrasser d'amour ses visages faits d'or:
Nos hurlements de peur se transformèrent en rires.


"On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve" disait Héraclite. "Tout s'écoule". Cette troisième année nous a tous rendus fous, ou plutôt, nous a tous rendus tout blanc. Une envie de ne pas être ce qu'on a été, ce sentiment de faire ce qu'on ne pouvait pas faire avant. Beaucoup de couples ont explosé. Des amitiés se sont crées, alors que d'autres se sont évanouies, ou on fait semblant d'éclore pour finalement mourir dans l'oeuf. Nous sommes tous, plus que jamais, des individus, seuls devant la grande tapisserie de notre vie, sans savoir vraiment quoi écrire dessus, mais avec une ferme volonté de ne pas rendre copie blanche. Je ne sais pas quoi penser du concept de "révolution personnelle", ni du changement en soi même. Il n'y a de toute façon pas de quoi juger un tel sentiment de manière axiologique. Ce n'est ni bien ni mauvais. Juste envie d'exploser de lumière, de pousser au plus loin, de faire des choses que nos parents n'ont peut être jamais eu l'occasion de faire. Et parfois, on voit le changement, et on ne peut pas lutter contre lui. Et on voit alors la barque s'éloigner de la berge, le visage familier s'effacer dans la brume, pendant que l'on s'enfonce dans le noir, avec comme navigateur le Passeur qui nous emmène non pas vers la Mort mais vers la réalité de la Vie.

Mais il y a cependant des choses qui ne change pas beaucoup. Du moins, elles diffèrent, prennent une autre rhétorique et d'autres conversations. Ainsi je voudrai remercier Mademoiselle Stellaire que je n'ai jamais évoqué ici sur ce blog. Sans trop savoir pourquoi, je me suis mis à repenser à elle quand je voyais les paysages nocturnes défiler pendant que j'étais dans le train. Après un sourire, je voulais juste la remercier, lui dire qu'elle me manquait, et que je lui souhaitais tout le bonheur du monde. La remercier d'avoir été là quand ça n'allait vraiment pas. De ne pas être partie, de ne pas s'être effacée alors que notre situation lors de mon départ était bien plus complexe et profonde que la dernière histoire qui a laissé tant de souffrances, d'incompréhensions et de malaises. Pour cela, merci. Avancer ne veut pas toujours dire faire table rase du passé.
Et pour mieux la connaître: http://mademoisellestellaire.blogspot.com/

Une incompréhensible tristesse. Nous nous sommes retrouvés dans une chambre, la lumière faiblement allumée, après avoir pleuré, tous les deux pour les mêmes raisons, même si nos histoires n'étaient pas vraiment entremêlées. Couchée sur le lit, la masse en face de moi était fort ivre. J'ai passé mes bras autour de son dos, et j'ai fermé les yeux. Le manque, le vide: les sacripants qui reviennent sans qu'on comprenne pourquoi, ceux qui font de nous des êtres qui ne pensons qu'à persévérer dans notre être, des êtres qui ne vivent qu'à travers le désir, qu'en dehors de nous mêmes, en bon spinozistes. J'ai alors embrassé son visage, et ses lèvres, mais de l'eau a coulé sur les murs, les pétales de la fleurs se sont repliés sur eux-mêmes, et le vent a cessé de souffler sur les fenêtres. La tristesse est partie en fermant la porte, me montrant la constance de l'existence, et les incohérences du désir. Et surtout qu'on a besoin d'être seul, pour mieux se découvrir.

"Voyage, voyage! Plus loin, que la nuit et le jour!"Desireless

Je pars pour deux mois hors du Japon. Je vais faire un mois de stage au Vietnam, et probablement un mois en Chine. J'ai vraiment besoin de partir du Japon, besoin de vivre autre chose, moins aseptisé, de quitter cette réalité que je ne vis qu'à moitié, de m'apauvrir encore plus. Peut être que là où je vais, je ne trouverais pas ce que je cherchais, mais l'important c'est de chercher non? La réponse quelque part, on s'en fout!


Comme vous avez pu le constater, ce bilan est plutôt contrasté, fait d'ombres et de lumières, aussi réaliste que peut être l'amour, l'argent, l'amitié ou la mort de Carlos et Micheal Jackson. En tout cas, merci Sciences po! Au moins, cette école aura servi à quelque chose: nous montrer que nous devons nous adapter et savoir changer dans ce monde en constante rotation. Des purs produits de la mondialisation peut être? Ou simplement avoir la vingtaine et se perdre, et leur dire merde à tous.

 En tout cas, rentrer en France: Oh ça non!