lundi 4 juin 2012

Voyage dans le Vide

(écris le 5 Juin 2012)



Dans le grand champ de fleur, elle était là, les grands cheveux ébouriffés, à m'attendre. On entendait bourdonner les insectes. Les insectes en moi. Les papillons qui ne volent plus dans mon ventre. J'entends encore leurs ailes. Mais il n'y a personne, personne ne vole dans mon ventre. Et toi non plus, elle, toi non plus tu n'es plus là. Les cascades font un énorme bruit. Le bruit couvre tous les sanglots. On entend plus personne pleurer. Et tu es toujours là, avec tes cheveux ébouriffés.

Il y a bien longtemps que je n'ai pas écrit ici.
D'ici là, je ne sais pas si je me suis rempli ou vidé, parce que ce soir je me sens un peu vide.
J'ai fait un peu de théâtre. Je me suis appauvri, au meilleur sens du terme, pour devenir un peu plus brillant. Essayer du moins, d'être universel.
Mais aujourd'hui, je me sens vide.
Voilà, c'est le mot. "Vide".

Tu as laissé un vide.
Et c'est une sorte de voyage, dans le Vide, duquel je ne sais pas sortir.

Je ne sais pas trop comment cela a commencé. Au téléphone peut-être. Ou peut-être dans la chambre de ton amie. Ou dans ses yeux plein d'un espace qui n'est plus rempli de joie. Cette voix, sans plaisanterie qui m'annonce que tu ne viendras pas me voir jouer cette année, ni l'année suivante, alors que tu es celle qui peut-être souhaitait le plus me voir sur les planches.
Et ses hurlements, sans attache émotionnelle. Une voix sourde.
Je n'y croyais pas. Je voulais pas le croire.




















Le voyage n'a commencé nulle autre part que dans ce bâtiment étrange.
L'institut médico-légal.
Je ne veux pas me souvenir de ce que j'ai vu dans cette pièce, qui n'était pas ce que j'avais comme souvenir de toi. Non. Je veux me souvenir simplement de moi regardant les fenêtres. Ce calme étrange, totalement silencieux, irréel, le Soleil frappant le sol blanc, figeant le temps d'un murmure.
On sentait les âmes se décoller des murs. Les feuilles des arbres se courbaient d'oraisons. Moi, moi, toujours moi, au milieu de cette immobilité, entouré de ce qu'il y a de plus cher. Je ne retiens que ça. Pas ton corps sans vie, non.
Mais je ne retiens que ça: être figé dans l'éternité avec ceux que j'ai aimé. Et le tableau ensoleillé de la fenêtre.

Tes photos. Nous avons passé des nuits à regarder tes photos, sans parvenir à compter tous les sourires.
Tu étais déclinée sous toutes les formes.
Il y avait toujours ton sourire.
C'était comme un voyage (parfois j'ai l'impression de l'écrire mal, ce voyage). Le tournis. Je ne t'avais jamais vu aussi longtemps.
Puis dans la grande salle, ton visage était encore plus grand, immense, présent et pesant.
Je me sentais tout petit, comme une toute petite flaque d'eau. Tout petit.
Écrire sans expulser. Une absence de sentiment. Une petite grippe. Je crois que j'étais un peu malade à ce moment là.
C'est comme si je me cachais ce moment-là, et qu'il revenait de temps en temps, avec force.
Le grand champ de fleur, avec toi au milieu, et moi en face de toi, et ton sourire, et ta voix aigüe.
Mais l'image se brouille sans cesse.

Quand je pense à toi, il me vient toujours un moment où mon cerveau se ferme, oublie de penser. Je ne veux pas y penser.

Tu me manques.

Il.
Son absence aussi.
Son absence toute aussi présente que la première.
L'Amour et  la Mort sont toujours aussi proches, et laissent le même goût de cendre et d'incomplétude dans la bouche. Partout, sa présence liée à chaque sursaut de cette histoire, car il est lié à cette histoire, dans un tourbillon que lui-même ne comprend pas et qu'il ne semble pas prêt de comprendre.
Comment peut-on aimer si largement, si puissamment, quelque chose qui ne veut plus exister?
D'où puise-t-on cette force qui nous fait croire, juste croire?  Cette stupide et vaine croyance: la foi?
Il n'est toujours pas là et ne sera jamais plus là, il me semble.
Oui, je sais, il y a tant d'autres rives où j'ai pu et peux poser ma barque.
"Plus hautes et moins sombres rives"
Persistance de l'illusion cependant. Damnation de la chanson qui ne s'arrête pas encore.
Autant dire "Je t'aime comme le hurlement des volcans, comme les pierres qui s'écrasent à grande volée sur le cosmos, comme ma peau contre ta peau" à une porte aveuglément fermée vers des rives apparemment plus scintillantes.
L'Amour, comme la Mort, nous prouve encore que la plus grande partie de notre vie échappe définitivement à notre contrôle.
C'est une évidence. Un constat.
Ton Absence, donc, comme sa Mort, entrave une partie de ma Vie.

Toi aussi, tu me manques.



Où es-tu? Parfois, je me demande. Mais je ne sais pas et sens qu'il n'est pas nécessaire de savoir. Tu dois être dans un endroit paisible.
Je ne sais pas puisque je te sens dans mon ventre.
Et si tu es dans mon ventre, tu dois être sacrément chamboulée, tous les jours.
Tu peux sortir de ma voix quand je fais du théâtre.
C'est tellement difficile le théâtre.

Souffrir.  Se donner l'impression que l'on souffre. Souffrir authentiquement. Un plaisir, ou une peine. Un honte. Ne pas tant souffrir que ça. On ne sait pas comment souffrir. Parfois, on ne souffre même pas tout de suite. Il n'y pas de standard de la souffrance. Et c'est cela qui nous effraie, et nous fait souffrir.

"Je pense du mal.
Je n'aime personne.
Je ne vous ai jamais aimé, il faut me croire, c'était des mensonges, je n'aime personne et je suis solitaire, et solitaire je ne risque rien, je décide de tout..."
(Lagarce, le Pays Lointain)
Est-ce que je n'aime vraiment personne, alors que je suis au fond de moi amoureux de l'humanité toute entière? J'ai peur. J'ai peur de cet inconfort qui grandit en moi quand je suis avec l'Autre. De cette inconfort que je sens chez l'Autre. Ma solitude est un cercle vicieux, qui se dirige un peu plus chaque jour vers la pente glissante du désastre. Elle me conduit vers le Rien, car être seul c'est être rien. Mais être adulte, est-ce que c'est être seul?

Je ne veux pas être seul, mais je ne sais pas comment m'en sortir. Je ne sais pas comment les sortir. Ces cris qui ne veulent pas sortir.
J'aimerais que tu sois là pour m'aider.

Quand vous étiez là, j'étais moins seul.
Quand tu étais là, je me sentais moins seul.

Là, je suis dans le grand champ de fleur, de toutes les couleurs.
Le grand champ de fleur. Duquel tout s'élève.
Je cours et me jette dans la cascade bruyante. Et tout le monde me regarde.

Regardez moi, tous! Je suis unique! Je veux rester unique! Personne ne sera comme moi!
Je serai mal habillé, comme un pouilleux. Je serai définitivement égocentrique! Je n'aimerai sans aucune demie-mesure. Je serai moi, et je sauterai dans la cascade. Et vous m'aimerez!
Vous m'aimerez, j'espère.
Mon grand voyage, dans les eaux troubles, à ta recherche.
Complètement perdu. Comme un adolescent qui fait ses gammes dans le spleen du pseudo poète maudit.

Tu n'es pas morte. Tant que j'écrirai, tu vivras.
Et mon Amour aussi, tant que je serai là, tu vivras, aussi bête, aussi Stupide que tu sois.
Car moi aussi je suis Stupide.
Je reste là, la tête sur le sable, après être tombé en courant sur la longue plage déserte. A terre, j'entends le bruit des vagues, les plaintes des hommes, mes assommantes plaintes, mon cœur battre; le sable est mouillé et froid.
Des pas s'approchent de moi, et je sais que c'est toi.
C'est ta démarche, maladroite.
Et levant la tête,
Ce sont tes cheveux qui font de l'ombre au Soleil.