samedi 14 janvier 2012

Je voudrais


Il y a, près de chez moi, un très grand Arbre majestueux. Et souvent, je me confie à lui. Je creuse un petit trou dans son écorce, et je parle.


Je voudrais que tu te réveilles en douceur, tranquillement, sous le bruit que la pluie fait quand elle tombe entre les feuilles de tes branches. Et je voudrais que tu me sers encore comme tu le faisais autrefois, même si tu n'es pas la même personne qu'autrefois, et même si tu n'as pas le même visage. Je voudrais aussi que quand tu ouvres les yeux vers la direction du soleil, je voudrais que ce soleil t'aveugle; et qu'ensuite tu me regardes, la rétine éblouie, pour ne voir que les traits de mon visage et ne pas me reconnaître. Je voudrais que tu m'embrasses, les yeux fermés plein de picotements parce qu'ils ont été chauffés par le soleil. Je voudrais que tu me serres encore plus fort, jusqu'à ce que mon dos craque. Je voudrais que tes feuilles ne soient pas sèches, parce que je veux sentir de l'eau sous moi, sentir comme un moment de fragilité quand je suis avec toi.


Et je voudrais plonger sans comprendre la tête dans la bassine pleine d'eau, tout entier, mes vêtements trempés par l'oubli et les larmes de joie que j'ai accumulé dans ma vie, et que je garde avec moi. Je voudrais que ma tête jaillisse de l'eau, les yeux exorbités sous le soleil vert éclatant. Je voudrais que mes parents m'entendent chanter et soient émerveillés. Je voudrais arrêter de rêver.

Je voudrais tellement que tu sois toujours comme une relique dans mon armoire. Je voudrais faire de toi ma momie, ma fleur que je mets dans le plus beau vase qui orne ma Maison. Je voudrais être heureux avec toi, mais je voudrais aussi que le bonheur n'existe pas, pour avoir toujours de quoi m'occuper dans la vie en le cherchant en vain. Je voudrais alors que tu t'en ailles, avec d'autres, et que tu ne reviennes pas, pour que je puisse confier ma tristesse à l'écorce de l'Arbre. Je voudrais que tu m'écoutes définitivement, même si finalement je n'ai pas envie de t'écouter.

Et je voudrais que tu ne sois pas Arbre, mais Humain, pour que je cesse de me sentir si seul. Je voudrais enlever ton écorce et croquer tout ce qu'il y a en toi. Je voudrais crier avec le lyrisme que je n'ai pas que je n'ai attendu que toi. Et je voudrais n'attendre que moi, puisque tu m'attendais toujours. Je voudrais que tu m'aimes. Et je voudrais m'aimer parce qu'il n'y a que comme ça que je pourrais aimer les autres. Je voudrais aimer.

Je voudrais que tu sois bête et moche. Je voudrais que tu sois une chose laide et timide. Que tu sois la plus belle chose qui me soit arrivée. Je voudrais que tu ne sois ni homme ni femme ni arbre. Mais je voudrais réussir dans la vie sans pour autant montrer à tout le monde que je suis angoissé. Et je voudrais aussi que tu me prennes au sérieux. Que tu me regardes dans les yeux sans cesse avec pitié et avec affection. Je voudrais que tu me lises jusqu'à la fin, car personne à part moi ne te portera autant de respect.

Et je voudrais danser jusqu'à la mort, même si finalement ça n'a aucun intérêt de mourir. Je voudrais tomber amoureux de toi. Je voudrais te fuir.  Je voudrais que la vie n'ait plus le goût de la cendre, même si je me pends aux Arbres pour prouver que j'existe. Je voudrais que tu comprennes tout cela.

Et je voudrais mourir pendu à une de tes branches, pour me prouver que je suis bien vivant. Je voudrais marquer l'univers tout entier avec de la peinture à l'huile. Je voudrais que tu te souviennes de moi; que tu penses toujours à moi quand tu embrasses un autre corps; que tu effaces les rires de son visage avec la sève de ton front; que tu cesses d'être grand comme moi j'ai cessé de vivre quand tu as arrêté de pousser. Et je voudrais que tu t'en ailles autre part; que tu écrives des poèmes mal-écrits. Je voudrais que tu te mettes nu devant tout le monde. Et que tu fermes les yeux au monde. Je voudrais que tu sois immonde.

Il n'y a finalement que ça que je veux: vouloir. Vouloir jusqu'à la mort.
Je voudrais arrêter de vouloir, même si finalement ça me fait avancer.

Je voudrais arrêter de vouloir, mais c'est ce qui m'aide à créer.

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