mercredi 7 septembre 2011

Une soirée avec Kamma, une semaine à Sciences po, un mois à Paris

Je marchais avec Kamma. Elle est la première islandaise que j'ai rencontré, après la mélodieuse voix de Björk (qui parfois donne l'impression qu'on lui écrase le pied pour attraper au passage ses amygdales). On parlait, on marchait sans vraiment s'arrêter, dans les rues de Paris, des humains, de l'amour, de la vie et un tout petit peu de cuisine. Petit à petit, d'Odéon jusqu'à Saint Michel, devant la magnifique Notre Dame, puis le long des quais, jusqu'à cette grande avenue éclairée, haussmannienne, magique. Rien à redire. Il ne faisait pas vraiment froid. Les quais devenaient de plus en plus couleur de nuit, des flux d'étoiles se fondaient dans les grands bâtiments de marbre de Lune.

Soudain, Kamma pointa une statue du doigt. Une magnifique statue, comme il y en a plein à Paris, éclairée par les réverbères, contrastant avec la noirceur bleutée de la nuit. Magnifique vision, mais mon cœur s'est serré. Il y avait un homme assis au pied de la statue. Il m'a regardé dans les yeux, sans sourire. On aurait dit un fantôme. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi mal à l'aise.

Paris. Ca y est. On y est. C'est étrange. La ville semble si petite après 6 mois de Tokyo, un an d'Asie, un an devant une immensité inévitable. Vraiment magnifique. Je ne sais pas pourquoi j'ai mis autant de temps à le remarquer. C'est un véritable musée, un immense musée mouvant et actif, vibrant, pédant mais à la fois éternellement jeune et impétueux. C'est une bataille qu'il faut gagner, pour en tomber éperdument amoureux.

Le long de la Seine, on voit passer les bateaux mouches illuminés et les touristes béats, buvant du vin sur un son d'accordéon. Et pour ceux qui restent un peu plus longtemps, regardant le fleuve plein de mélancolie, on peut voir petit à petit apparaître les bateaux fantômes. Les morts sont silencieux et dînent dans le noir. Ils ont cette délicieuse couleur bleutée. Il y a la vieille veuve, ses enfants et le jeune poète rêveur qui s'est jeté du balcon de sa chambre, à la proue de ce bateau sans capitaine. Je verse quelques larmes dans le Styx.

Et Sciences po maintenant. Nous voici à Saint Germain des Près. Étrange institution qui ressemble à tout sauf à une université et qui est entourée de magasins de chaussures et de fringues dont le prix n'est même pas affiché. Je ne sais pas trop comme prendre les gens ici. Beaucoup sont très bien habillés. Beaucoup sont habillés normalement. L'endroit évoque l'argent, le luxe, l’abri du besoin, la déconnexion, la préservation. Mais on y sent aussi le sérieux, l'intelligence, le savoir. Étrange. Les gens sont ici des individus, beaucoup moins déterminés  par l'appartenance à un groupe. Ils semblent également davantage seuls. Paris, en nous isolant nous redonne ce rêve romantique, et cette impression que l'on peut faire ce que l'on veut, devenir qui on veut. 

Le long de la Seine, on voit passer les bateaux mouches illuminés et les touristes béats, buvant du vin sur un son d'accordéon. Et pour ceux qui restent un peu plus longtemps, regardant le fleuve plein de mélancolie, on peut voir petit à petit apparaître les bateaux fantômes. Alors je me suis jeté du haut du pont pour tomber sur le plancher de ce bateau plutôt froid. L'équipage m'a regardé d'un air indifférent, voguant sur le Léthée et le corps de ce fleuve plein d'étoiles et de météorite, s'enfonçant dans le Grand Noir du siècle, au couvercle d'or.

Mélancolique et Romantique, comme on le dit, voilà Paris.

"Some people just determine their identity before chosing someone they love. You rather do the contrary. You are hopelessly romantic. You love loving. You believe in it so strongly that you can handle the confusions, the multiplicity, on the sake of Love. You love no matter what."

Maintenant, au 27 rue Saint Guillaume, les lumières sont éteintes même si tout le monde marche dans les couloirs sans vraiment se rendre compte qu'ils marchent dans le noir. L'eau de la Seine dévale les escaliers et transforme les couloirs en un couloir de fleuve. Je suis dans le hall principale, et de l'eau s'écoule depuis le plafond de la péniche. Certains courent dans les grands couloirs vides, à la recherche d'un chemin un peu plus clair, luttant contre l'eau qui se fait de plus en plus présente, palpable, envahissante. Je ne peux pas m'empécher de le voir ce fantôme qui marche dans les couloirs, sans laisser de trace, pendant que tout prend l'eau ici. Parce que quand on lui envoie une pierre, il ne sent rien, puis qu'il est devenu transparent. Et l'eau remplit petit à petit le bâtiment, pour surpasser la Terre.

A la proue du vaisseau fantôme, on est même pas perdu, dans le Grand Noir des villes. Pendant que le bateau s'enfonce dans l'eau trouble, où les souvenirs remontent sans vraiment devenir physique. Le bateau coule, je coule avec lui, j'ai encore un peu la tête hors de l'eau, un peu perplexe, mais étrangement heureux d'être baignée par la lumière lunaire. Qu'y a-t'il d'autre pour être serein, qu'attendre que tout retrouve un certain ordre, trouver la brèche et le bateau fantôme pour créer et rêver? Pendant ce temps, la bateau s'enfonce dans les profondeurs, et on ne voit plus maintenant que l'onde calme éclairée par la lumière du réverbère.

mardi 16 août 2011

Pandemonium



Parfois, trop d'énergie, même fatigué. Alors n'arrive pas à dormir. Alors ferme les yeux.

Un grand escalier tout noir, et de la lumière jusqu'au bout, et des âmes tout autour qui essaient comme moi de sortir.

Pendant que d'autres parlent de descente aux Enfers, certains préfèrent en sortir. Mais l'Enfer, est-ce bien infernal?

Eurydice était bien derrière moi. Elle me suivait, j'en étais sûr. Enfin, elle était supposée me suivre, je crois. Je ne sais pas. Je n'avais pas le droit de regarder derrière. Le risque aurait été qu'il y ait un petit quelque chose qui me fasse par erreur regarder en arrière, et l'aurait éloignée.

Parce que quelque part, c'est toujours Eurydice qui s'en va, quand on la regarde.

Un détail dont je me souviens bien, c'est qu'Eurydice avait de très gros seins.

Étrange sensation que d'être dans les Enfers. Il y fait un peu froid. Pas beaucoup de lumière. Mais je sais qu'il n'y a pas beaucoup de lumière parce qu'il ne faut pas réveiller les rêveurs. Il y fait bon tout de même, et si on regarde bien, on peut voir des éclairs de lumière dans le Noir.

L'Enfer n'est pas horrible. C'est un mythe créé pour nous faire peur. En fait, visiter les Enfers c'est simplement appréhender une certaine réalité humaine, une bizzarerie. Un monde où on sourit un peu moins. Mais n'est-ce pas un monde plus réaliste, où le sourire se mérite et devient le souffle vague que l'on regarde au travers un train qui part?

Partir. J'ai entendu la sirène du train, et j'ai regardé en arrière.

Eurydice redescendait.  Mais pourquoi avais-je regardé en arrière! Evidemment, il faut toujours qu'elle redescende cette conne! On peut pas lui faire confiance à celle-là! Mais est-ce qu'elle redescend parce que je lui disais qu'elle allait redescendre?

"Mais vas-y! Casse toi connasse! Et puis de toute façon, t'étais moche! Ta tête le matin ressemblait à un paysage choisi pour installer une centrale nucléaire!

Et puis de toute façon, t'étais pas fidèle!

Et puis de toute façon, j'aime pas les gros seins!

Et puis de toute façon, on trouve toujours mieux non? Je trouverai mieux que toi! (Ou pas)"

Elle continuait de descendre les escaliers avec une suprême indifférence, ses fesses se balançant lentement au travers de sa légère robe blanche.

"Bon allez quoi, remonte! Bon, c'est vrai que j'ai pas été cool! Enfin, toi non plus, hein? Et puis non, t'es pas vraiment laide! Tu as une grande beauté intérieure. Allez! Remonte! Et on recommencera, et ce sera différent, et mieux!"

Toujours entrain de descendre. Sans tourner la tête. La silhouette devenait de plus en plus sombre, comme avalée par la noirceur.

Bon, plus qu'à tourner la tête vers le soleil éblouissant, voir les étoiles.

De là me vient une pensée:

"Eurydice, c'est la Poésie et l'âge adulte. Quand on la regarde, qu'on a l'impression de la saisir, elle s'en va, et il faut toujours aller la rechercher."

Quel voyage, remonter de l'Enfer!







mercredi 3 août 2011

By your side- Bilan Final




Je n'aime pas la réalité.

Alors très souvent, je m'enfuis. Je vais ailleurs.

Je suis à Nara. By your side. Mais t'es pas là. T'es pu là. Alors je pose un petit regard sur la grande peinture que j'ai peinte pendant un an. J'essaie de l’interpréter cette fois, pour mieux la comprendre. La grande colline verte de Nara m'inspire. Il y a longtemps, j'ai fait un rêve. J'avais la trentaine, j'étais sur cette même colline, j'avais deux enfants dans chaque main, j'étais serein. Et là c'est étrange: je suis sur cette colline, cette même colline. Seul, enfin près de toi, près de vous quand même, mais sans l'être. A faire un Bilan de ma Vie, à 22 ans. Pas grand chose pour faire le bilan: comment faire un bilan de vie à 22 ans. Et pourtant! C'est qu'on peut en dire des choses quand on est bavard!

Je suis à Hanoi. By your side. Je suis assis sur une chaise. Mon téléphone sonne. Tu m'appelles. "Que fais-tu ce soir?". Rien. Sortons. "Allons chez moi. Allons boire de la bière et rigoler. Allons dans un Bar qui ferme à 1 heures à cause du couvre feu communiste. Allons en boite de nuit où la musique nous défonce les oreilles. Allons avec ce Japonais, qui est de passage, et puis après allons chez toi, dire bonjour à Jah, avec tes amis Vietnamiens. Prenons la moto, alors qu'il pleut des cordes, à trois sur le bolide, entourés par les orages et juste mort de rire".
Hanoi, c'était un Lac. Un grand lac paisible, où tout allait bien. Même s'il y avait des pics de solitude, des souvenirs qui remontaient sans qu'on leur demande leur avis. Mais il y avait toi, il y avait vous. Le mystère du Parti enfoui sous le ciel. Une vie sans difficulté. Une vie douce, de miel, sous la chaleur. Et quand ils me regardaient tous, leur beaux visages inquisiteurs sur mon front blanc, je ne pouvais m’empêcher de fondre, dans le moule de ce paradis caché maintenant dans un coin de mon cerveau.

Je suis à Paris. By your side. Enfin, dans la chambre de ma grand mère, je tourne la tête vers la droite et il n'y a personne. J'ai pas vraiment l'impression d'être compris pour le moment. En fait, ils ne comprennent rien. Mais c'est normal: Il n'y a rien à comprendre. Ce n'est qu'une mappemonde, ce n'est qu'un demi tour d'Asie. "Il ne faut pas être méprisant" écrit-il sur son bras droit, la plume ensanglantée. Alors je regarde le ciel gris pâle à travers ma fenêtre ouverte. Le ciel est orange à 22 heures. Se reconstruire une nouvelle vie,  encore. Tout recommencer. Ça m'étouffe. Je sens déjà les fantôme qui reviennent. Leurs belles têtes françaises. Leurs traits fins aliénants qui donnent l'impression qu'on est rien, et qu'on sera jamais rien.  Je me couche, prend mon Katana. Ils s'approchent et je les écharpe mais ils s'enfuient. Ils vont revenir. Alors j'ouvre le frigo. Je suis en caleçon: plus de pudeur. By your side. Je mange un yahourt froid dans la cuisine. Il  a un petit goût de réel. Alors je repars.

Je suis à Saigon. By your side. Il y a des rats qui sortent de tous le égouts et des vendeurs de nouilles de Huê. Saigon, c'est un peu l'apothéose de mon voyage dans les pays communistes. Je viens de me promener devant le magasin de Dior, Louis Vuitton, et autres marques qui sont très loin de prôner l'égalité universelle, pour finir à boire un jus de fruit à 5 euros sur l'étage de la plus haute tour de cette ville qui n'a jamais embrassé très franchement les belles idées de Karl Marx. Saigon. En fait, son nom officiel c'est Ho Chi Minh ville. Mais la ville ne représente tellement pas ce personnage historique que je préfère l'appeler Saigon. Je crois que visiter ces pays qui sont passés par une économie planifiée et socialiste ne m'a pas vraiment convaincu que la Gauche n'était pas une solution. Pour moi, ces pays n'ont simplement jamais été socialistes, et ne sont donc pas des anti-modèles. Ils n'ont juste été que des germes totalitaires, des prises de pouvoir impromptues où le communisme était simplement une jolie couleur pour décorer le discours. Chine, Vietnam, Laos: même combat et même évolution. Le communisme, ce n'est pas la gauche. La Gauche, c'est autre chose. Et ce qui s'est passé là, ne doit pas nous décourager de découvrir qu'un autre monde, plus juste, plus égalitaire, est encore possible. L'Homme n'est pas qu'intérêt, et il a intérêt à ne pas l'être.



Je suis à Pékin. By your side. Non, enfin, plutôt seul. Sur la Grande Muraille. Je ne me suis jamais senti aussi puissant. Je n'ai pas envie de partir. Jamais. Il y a encore beaucoup de choses à voir en Chine je crois. J'ai envie d'y revenir, comme Lotte, avec un gros sac à dos, et y faire du vélo.

Je suis au GC bar. By your side. Enfin, non, encore seul. Je bois seul, je m'ennuie. Personne ne me parle. J'y vais parce que j'ai envie de parler à des gens, mais je sais pas comment leur parler. Y'a personne pour m'aider, pour me traduire l'impossible langue vietnamienne. Mais pendant que je me morfonds, parce qu'on se morfond toujours, il y a Hung qui me regarde.
Et puis pas trop longtemps après, quatre jours peut-être. By your side. T'as changé de tête. Au Vietnam, petits et grands, garçons et filles, trouillards ou téméraires, intellectuels ou praticiens: tout le monde a une moto. Mais moi, je sais pas conduire. J'ai eu peur de la conduire. Alors je m'accroche derrière toi. Tu roules un peu vite. Je m'accroche à ton ventre chaud. Les lumières de la ville font naître petit à petit un kaléidoscope géant. J'hallucine.

Je suis à Delhi. By your side. Je ne suis jamais seul. On est jamais seul en Inde. Je l'ai été mais j'ai aussi été entouré de beaucoup de gens. Cette année, c'était l'année des amitiés. Je n'ai jamais rencontré autant de gens. Jamais autant de gens ne m'ont autant éclairé sur qui j'étais. Et je crois que je les ai éclairé un peu aussi. C'est drôle qu'à la fois, on peut se détester et être convaincu en même temps qu'on est unique. "Alors pourquoi, à un instant T, a-t-on cessé de vous aimer, si vous étiez supposé être unique et intéressant? " Je ne sais pas. J'ai essayer de chercher, pendant ce voyage, pendant les longues heures de trajet sans lire ni écrire. Je n'ai pas trouvé. Enfin si, c'est plutôt simple en fait:

"C'est la vie. Et souvent, celle-ci ne donne pas de réponse. C'est un peu à vous de trouver des pistes dans cet infâme brouillard tout noir. Et personne ne pourra le faire à votre place."

Je suis à Shinjuku. By your side. Tu as encore changé de visage. Tu as toujours un visage différent. Masaya   s'empiffre de Takoyaki pendant qu'il m'écoute déclamer les bonnes raisons de ma foi intérieure et mes sentiments vertigineux sur les excroissances de l'amour, le destin des hommes vers leur réappropriation du politique et les vertus de la Satya chez Gandhi (ce qui est en soi passionnant!). 

Très troublant, avec des yeux qui vous regardent jusqu'au fond du slip. Masaya est trop troublant: je sais plus où me foutre. Il sourit, de manière peut être un peu malsaine. Dehors il y a Shinjuku qui, malgré la restriction sur l'usage de l'électricité, brille toujours de mille feux. Soudain, Masaya prend un pop corn et l'approche de ma bouche. Sans réfléchir, j'ouvre celle-ci et prend le pop-corn. Masaya explose de rire. Humiliation. Pendant ce magnifique duel de Samouraï, j'ai pris un coup de Katana dans le ventre.
La vie à Tokyo est une vie tellement intense.

Au Arty Farty. Toujours pas By your Side. Deux faces de cet endroit si étrange. Un monde de jeunesse, de fête, de libération, d'amour et d'extase, de rencontres. Et d'un autre côté, un monde d'extrême solitude, de promiscuité, de sexe à outrance, d'inconstance. Ici, la star, c'est Britney, c'est l'Américaine de base, et tous ont des noms Américains sans s'en rendre compte. Donc on boit. On boit des liquides rouges, jaunes, mauves et on sourit bêtement à la boule qui tourne et qui fait plein de lumière.

Je n'aime pas beaucoup la réalité.

Alors très souvent, je m'enfuis, je vais ailleurs. Et ce n'est pas pour moi que je voyage, et que j'écris. Ce que j'écris, je l'écris pour vous. Parce qu'il n'y a que vous qui comptiez. En parlant de moi, je vais jusqu'au fond, et je veux parler aux Hommes. C'est de l'Homme dont il est question. Et de poésie. Le monde est Poésie. C'est un peu comme si on avait oublié que ça existait.



Car c’est de l’homme qu’il s’agit, et de son renouement.
Quelqu’un au monde n’élèvera-t-il la voix ?
Témoignage pour l’homme…
 
Saint-John Perse - Vents III, 4
 
Je suis sur la Mer. Sur une barque. Un nouvel Ulysse? En tout cas, je ne sais pas si vous avez tout suivi, mais c'est comme ça qu'il a commencé ce blog. Sur la Mer. Sur une barque. Et je suis capitaine. Enfin, pas vraiment, je fais semblant, comme tout le monde, d'avoir un peu de contrôle sur ma vie. Mais en fait, je râme, comme tout le monde. Mais c'est bien de râmer non? Enfin je sais pas. Si je devais utiliser un mot pour décrire réellement cette année fabuleuse, je dirai "inattendue". Beaucoup de vagues néanmoins, je m'en serai bien passé. Mais bon, quand on monte très haut, on redescend nécessairement très bas: c'est le prix du Bonheur paraît-il. Une chose est sûre, c'est qu'une période de mauvais est toujours suivie par une période de bon. Tout ira bien, tout ira toujours bien. J'ai toujours aimé les happy ends!

Chères lectrices, chers lecteurs, amis, ennemis, anciens amours ou encore futur camarade de combat, retenez ceci de cette logorrhée foireuse: Il y a sous la Mer, plein de grands problèmes politiques. En rentrant dans son ancienne vie, on se rend compte de leur réalité et de leur importance. Ainsi, il faut continuer d'écrire, de faire de la poésie, de discuter, d'apprendre, de réfléchir. La Mer et le Voyage ne sont pas faits pour rendre bêtes et dociles, apolitiques. La Mer est à la fois menaçante, calme ou passionnante. La Mer, c'est un peu comme Moi, c'est un peu comme Vous, c'est une grande étendue calme endormie qui n'attend qu'à être réveillée. Elle est politique. Elle est amoureuse. Elle n'a qu'une envie, c'est de vibrer. "On a tous envie de vibrer", non? 
 
La Mer, c'est l'Homme. Et le sommeil de l'Homme semble profond. Mais le Monde, le Beau, l'Intelligent, existent en chaque Homme. Et à ceux, cyniques et supposés réalistes, qui me disent  "Ils sont stupides les Hommes. Ce sont des abîmes marins qui font des pets pendant qu'ils dorment", je répondrais simplement, avec un sourire en coin:
"Méfiez vous de l'eau qui dort."


vendredi 29 juillet 2011

Japan

La grandeur des temples construits pour le pouvoir, les sanctuaires millénaires remplis de l'eau puissante de l'Histoire, les centaines de statuettes de bois recouvertes d'or, les milliers de Boudhas, les chemins de pierre et l'infini des monuments!

J'y comprends pas grand chose

Ce que je comprends, c'est le bruit assourdissant des cigales qui s'élève soudainement, le vent qui souffle dans les arbres et qui me donne un léger baiser sur la joue, et les roches que je sens sous mes semelles qui ont fait beaucoup de chemin, de Shanghai à Nara.

Le soleil cogne au zénith, avec sa force et son courage, pendant que je mange une glace à la Vanille et au Thé Vert qui se réduit doucement après chaque délicieux coup de langue.

Alors, j'ai enlevé mes chaussures pour mettre mes doigts de pieds au frais. Autour de moi l'immense forêt impénétrable où on entend les 神 (kami) susurrer des paroles que personne ne comprend vraiment.

Quand tout à coup:

Deux fées

Deux fées qui viennent murmurer à mon oreille

L'une vêtue de rouge vient déclamer les terribles attentes du Futur et ma mort annoncée

L'autre parée de mauve me rappelle les fantômes du Passé

Alors, très logiquement, je les écrase toutes les deux sur mon tee-shirt blanc. On entend un bruit de succions et des cris de vierges qui se meurent.

Deux nouvelles taches rouges que je tente de faire partir, la tête souriante, le soleil sur le front, et les deux pieds dans l'eau du Présent

Pendant que s'agitent, l'air de rien, les buissons et les arbres.

mardi 19 juillet 2011

Le Grand Magicien Noir

 Le Grand Magicien Noir. Même Kabukicho le soir n'a rien à voir.

N'y a t'il pas ce soir quelque douceur de vivre, quelque suffocante gloire: triste à mourir.

Il y a des soirs, quand je me promène à Shinjuku, à coté de lui qui ne dit rien sans tout dire, qui me mène par le bout de ses doigts fins.

Tout le monde court après tout le monde, c'est une certitude.

Il n'y a qu'à voir son visage pour voir la radicalité de sa différence. Différente culture. Différente personne. Les barrières à franchir sont presque impossibles à enjamber. Seulement son impénétrable sourire. L'Autre.

Alors dans la nuit, on marche. La nuit toute noire. Et on cherche un grand magicien noir pour s'affaisser, sans bruit. Le ciel plein d'étoiles sourdes, de lunes sans visage. Le Grand Corps de l'Ombre ployé récupère ce qui n'a pas fâné.

Et les grands immeubles, cette grande ville. Tokyo qui avale tout et recrache dans le Noir!

Les ponts s'enchainent au bout du cerveau lent et sans mémoire! Hanoi et Saigon deviennent des images du grand écran de Shinjuku Eki.

Dans les bras. Au revoir. Parti. Le visage de l'Autre. Encore plus loin. Et pas d'épaule.

Le Grand Magicien Noir. Même Kabukicho le soir n'a rien à voir.

jeudi 26 mai 2011

Bye Bye Love

Pour de vrai, cette fois-ci, et pas besoin de sable...

Après avoir réalisé qu'il y avait plus d'articles non publiés (c'est à dire dormant dans mes brouillons), que d'articles publiés, j'ai décidé de bouger ailleurs, de sortir un peu de cette entreprise nombriliste pour trouver autre chose. Trouver la Maison de mon Rêve.

Si vous voulez continuer à me suivre:



A très bientôt


mercredi 20 avril 2011

Sakura



Au mois d'Avril, les Japonais fêtent Hanami. (hanami), se compose de  , la fleur (hana) et de , regarder (mi). Les familles, les couples ou les amis se rassemblent dans les jardins, pour chanter, parler, manger, et contempler les fleurs de cerisier, qui apparaissent au début du printemps. C'est un moment de beauté éphémère, où le rose prend toute sa dimension. Quand je suis arrivé au Japon pour prendre mes affaires, les cerisiers étaient encore en fleur.

Je quitte le Japon. Pour de multiples raisons, toutes aussi bonnes ou mauvaises les unes que les autres. Je n'ai pas envie de quitter le Japon. Mais les choses se passent différemment. Et j'y reviendrai, car quelque chose n'est pas achevé, car je n'en ai vu que la moitié, et que je ne connais pas encore la langue. Mais aussi parce que j'ai rencontré des gens.

On ne peut pas fuir sa tête. On ne peut pas s'enfuir de soi-même. Où qu'on aille on peut être heureux ou malheureux. Ce qui compte, à un moment donné, ce n'est pas où on est, mais avec qui on est. Car s'il y a une chose importante, une chose qui lie tout, qui est le "petit quelque chose" qui manque, c'est l'Amour. Que ce soit l'Amitié, ou l'Amour pur, on ne peut rien faire sans lui. Ce poncif est pourtant tellement bêtement vrai. Sur un grand arbre solide mais sans feuille, c'est un peu lui qui ouvre les fleurs de cerisier. Et l'Amour implique invariablement l'Autre. L'Autre, alors, même s'il peut être aussi le pire des bourreaux, colore notre existence.
Quand je suis rentré au Japon, je suis tombé amoureux deux fois. Ou plutôt, j'ai aimé plusieurs fois. J'ai remis ma tête en place, ressenti mon cœur vibrer, au rythme d'un pays qui, malgré la catastrophe nucléaire actuelle, porte en lui des cerisiers qui ne s'arrêtent jamais de fleurir. Peut-être était-ce parce que je restais peu de temps? Peut-être était-ce à cause du syndrome du départ? Peut-être était-ce tout simplement parce que j'avais besoin de vibrer? Quelle importance? Pendant quatre jours, j'ai contemplé les fleurs de cerisier, et ceux qui ont fait de ce semestre, un moment très particulier.
***

Chihiro

 Il faisait nuit. Le soleil s'était enfui derrière les grattes-ciels de Yotsuya. Le vent soufflait légèrement. Un vent frais caressait les fleurs de cerisier dans la nuit. Toute la promenade de Yotsuya était bordée de cerisiers. Il faisait nuit, et Chihiro était la plus belle. Chihiro est une grande jeune femme. C'est plutôt rare pour une japonaise d'être grande. Elle a ce magnifique visage serein et digne. Une espèce très particulière de classe, que seules les femmes japonaises ont. Une dignité cachée, une pensée qui ne se révèle qu'à travers des symboles. Des lèvres soigneusement fermées, comme pour profiter de chaque instant que la nuit qui perce les branches des arbres noirs.

Nous nous sommes rencontrés plutôt tardivement. Elle m'a aidé à trouver une troupe de théâtre. Nous nous donnions rendez-vous dans un café pour parler japonais et français, et puis finalement simplement pour parler.

Ce jour là, Chihiro m'a demandé si j'avais célébré Hanami. Et moi de répondre par la négative, elle m'a simplement dit 残念, et son visage de dire: "C'est tellement dommage". Alors elle m'a amené près des cerisiers de Yotsuya. Je revenais tout juste de l'aéroport. Alors j'ai posé mon gros sac par terre. Il faisait un peu frais. Et Chihiro s'est adossée contre la barrière. J'ai fait pareil. Les fleurs dégageaient une atmosphère unique. Une incompréhensible paix intérieure. Il y avait un grand silence digne. Et Chihiro était la plus belle.

Parfois, on se demande pourquoi on ose pas. Pourquoi il est aussi difficile de s'approcher et d'expliquer simplement ce que l'on pense aux gens qui sont juste là. Pourquoi les fleurs de cerisier volaient dans ses cheveux noirs. Pourquoi il y avait cet incompréhensible silence, ce flottement dans l'air, ce moment contingent où tout peut changer en l'espace d'un instant. Pourquoi on a pas le temps.

Dans le ciel noir, Chihiro apparaissait clairement comme la lumière apaisante. Son rire de cristal. Et son grand corps harmonieux. Je me suis senti bien, presque vacillant, comme si petit à petit, les problèmes s'évaporaient. Comme si ce pays m'offrait enfin toutes les possibilités que je cherchais.

Il faisait nuit. Et Chihiro était la plus belle.


***



Impressions éparses...

Je n'ai pas vécu un coup de foudre avec le Japon. Pour de multiples raisons, les débuts ont été plutôt difficiles. C'est donc venu doucement, mais surement. Mon départ pour le Vietnam, et les deux mois et demi de pérégrination en Asie ont achevé de me convaincre que le Japon était un pays unique qui possède beaucoup de richesses auxquelles je serai sans doute sensible. C'est souvent les choses que l'on met du temps à aimer qui finalement se révèlent les choses que l'on aime le plus.
(...)
La langue japonaise. Je ne suis pas mauvais en langue, je ne suis pas bon non plus. Toute langue demande un effort, un effort vers l'autre et une rigueur sur soi. Le Japonais est une langue exigeante, précise, structurée, rythmée et sensible. Elle est, contrairement à l'imitation vulgaire que l'on peut en faire, très douce et chantante. Son écriture cumule la puissance des caractères chinois et le pratique des caractères japonais. C'est une langue plutôt harmonieuse, je dirais.

(...)

La catastrophe a été terrible dans le Nord mais la vie semble normale à Tokyo. Il y a quelques petites choses étranges cependant. Il n'y a plus de lumière dans le métro. Certains escaliers roulant ne fonctionnent plus.  Les lumières de Shinjuku et Shibuya ne sont plus toutes vives. Il n'y a plus d'étudiants étrangers à Sophia. Il y a toujours ce doute, sur le nucléaire, sur ce qu'on nous dit et ce qu'on ne nous dit pas. Enfin, croisons les doigts.

Masaya


Quand je marchais pour me rendre à Ni-chome avec Nathan, je pouvais voir les fleurs de cerisier au loin, à Shinjuku Gyoen. Il y avait déjà déjà pas mal d'alcool dans mon corps. Il y avait un peu de malice dans les yeux. Je crois que j'ai passé cette soirée à boire, ce qui m'est arrivé fréquemment à Tokyo. Ce qui me fait rire, c'est de voir à quel point mon niveau de tolérance a augmenté. C'est simplement que je peux maintenant boire de l'alcool sans me ridiculiser. Tokyo aurait-elle fait de moi un alcoolique?

Dans cet endroit il y a des hommes qui aiment les hommes, des femmes qui aiment les femmes et parfois des hommes qui aiment des femmes. Dans cet endroit, il y a une explosion d'hormone, de danse et d'alcool. C'est plutôt drôle, c'est plutôt libéré, mais c'est aussi un peu étrange, un peu malsain. Comme s'il y avait une espèce de narcissisme, une espèce de légèreté symptomatique d'un malaise ambiant. Comme une désillusion, dans un monde où les hommes dansent comme des femmes, et les femmes comme des hommes.

La devise: "Sexe, accordéon et alcool".

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

Charles Baudelaire, A une passante,
Les Fleurs du Mal

C'est ce soir là que j'ai rencontré Masaya.
De grandes oreilles. Un jean retroussé. Des baskets dorées. Un pull autour de la taille. Des yeux qui clignent sans cesse à cause des lentilles de contact.

Masaya dansait langoureusement. Un peu trop langoureusement, en s'accrochant autour du poteau en mode gogo-danseuse. Plus on s'approchait, plus on voyait que son regard ne regardait pas mon visage. Ses yeux regardaient ailleurs. Peut-être que ses yeux regardaient quelqu'un d'autre. Mais dans ce lieu là, il n'y a pas vraiment de constance. Tout est plutôt contingent. 

Il y avait quelque chose de spécial dans ses mots, dans sa paroles. Il y avait un contrôle, une assurance qui étrangement m'en donnait aussi. Plus j'étais en sa compagnie, plus je sentais que je voudrais y rester le plus longtemps, découvrir sa richesse, son mystère. Il y a eu quelque chose qui s'est éveillé en moi, en plus du désir qui augmentait de part le jeu qu'on me faisait consciemment subir.

Masaya cherchait sans doute quelqu'un d'autre que moi. Mais moi, je ne sais pas pourquoi, je savais que je valais mieux. Je ne sais pas pourquoi j'ai eu ce sentiment d'intense puissance. Alors, dans le noir, j'ai attrapé sa taille, je l'ai serrée contre moi et j'ai murmuré dans ses grandes oreilles: "Les gens ici ne valent rien. Danse plutôt avec moi". Ainsi je tenais entre mes mains ce corps un peu absent. Je me sentais fébrile, je passais ma main dans ses cheveux sans vraiment comprendre où les siennes se promenaient. J'avais avec moi la preuve même de ce qui nous rend tous fous: de ne pas contrôler l'Autre, de ne pas savoir ce qui se passe dans la tête de l'Autre. Sa danse m'hypnotisait. J'ai soupiré. Ce fut peut-être un soupir qui fit fuir. Et son ombre s'est enfuie dans la nuit. Mais était-ce vraiment une fuite?
Nous nous sommes tout de même retrouvés tous les quatre pour manger. Masaya avait toujours ce regard souriant et charmeur. Le soleil se levait à Shinjuku. Quand je suis sorti du Jonathan, j'ai vu son beau visage que j'aurai aimé garder pour très longtemps dans mes yeux, dans mes bras. Sa bouche très japonaise, qui avait étudié le Russe, a alors chanté:

"Nous aurons pour nous l' éternité
Dans le bleu de toute l' immensité
Dans le ciel plus de problèmes
Mon amour crois tu qu' on s' aime
"
Edith Piaf, L'hymne à l'amour

***

A Hanoi, je m'en rappelle encore. Ce moment aussi éphémère, comme une fleur qui tombe par terre. J'y pense, j'y reviendrai, la vie semble tellement plus pleine de possibilités maintenant. Tout est encore possible.

Il y a tant de choses que nous n'avons pas encore ressenti.



***
Thaïs

Quand j'ai revu Thaïs, je ne l'ai pas reconnue. Elle avait des cernes, était toute grise, fatiguée, peut-être même déprimée. Thaïs avait un peu moins de couleur que d'habitude. Parce que ce qui caractérise Thaïs, c'est bien la couleur.

La première fois que j'ai vu Thaïs, j'ai été surpris par les couleurs que présentait sa jupe. Des talons hauts, très hauts, qui la grandissent encore plus qu'elle est déjà assez grande. Une explosion de couleur. Thaïs, c'est comme une fleur dont le pollen vous irrite le nez. Elle est magnifique mais elle peut être énervante. Thaïs au début m'a un peu irrité. Grande confiance en elle, personnalité dévorante, apparente frivolité, légèreté. Mais il faut toujours se méfier des premières impressions: ça s'est une vérité universelle.

Lorsque l'on va cueillir Thaïs, on se rend compte qu'une fleure peut être déjà un bouquet. Quand Thaïs donne, elle donne en entier. Ce qu'elle pense, elle le dit. Et ce qu'elle aime, elle le dit. Mine de rien, j'ai rencontré finalement peu de personne qui était vraiment capable de dire leurs véritables sentiments à quelqu'un. Peut-être cela vient-il du fait qu'on croit que dire ses sentiments est une faiblesse. Mais n'est-ce pas plutôt un courage et une force d'aller vers l'autre jusqu'à lui dire qu'on l'aime? On est finalement beaucoup plus fort quand on est capable de mettre des mots et de les présenter à l'autre.

Thaïs ne prend pas de gants, et fonce sans se poser trop de questions. Entière, c'est une fleur qui n'a pas besoin de se cacher des abeilles. Qu'on ait du mal à la suivre ou pas, qu'on ait du mal à la comprendre, Thaïs c'est pour moi un peu comme le Japon, quelqu'un que j'ai appris à aimer, et que je ne pourrai pas oublier. Il faut aller cueillir les plus belles fleurs, même si parfois certaines semblent pleine de pollen.
Avant de partir, Thaïs m'a pris dans ses bras. J'ai encore une fois vaciller, car il est dur de ne pas vaciller devant une jolie fille. Thaïs m'a pris dans ses bras, je voyais encore au loin les fleurs de cerisier tomber, l'eau de la rivière au loin qui faisait un petit bruit, qui faisait du Café un parc où les rainettes sautaient innocemment. Dans le grand champs furibard de fleurs à l'abandon, où le fossé est grand, et loin est l'horizon.
Il faut que je revois Thaïs.

***
Endormie les cheveux mouillés
Bras repliés
Retrouver les fenêtres ouvertes
L'air par la fenêtre

Pour que l'amour me quitte
L'amour me quitte
Pour que l'amour me quitte
Amour
En dormant j'ai rêvé
Des mille lianes
Pagayé, pagayé
Pour que l'amour me quitte
L'Amour me quitte
Pour que l'amour me quitte
Amour
Réveiller la lumière pâle
Des murs de l'hôpital
Trop aimer, c'est pas normal
Un cœur si mal
Accroché, décroché

Pour que l'amour me quitte
Amour

Camille, Pour que l'amour me quitte

***


Yuuki

Hayashi Yuuki. “林” (hayashi) veut dire « bois » en japonais. Yuuki a donc une relation forte avec les forêts...ou pas.

Yuuki a une particularité. Dès que l'ombre d'un appareil photo apparaît, ses deux doigts se tendent en V de la victoire. C'est un peu comme un ressort, comme un automatisme, comme si tout ce qu'il y avait de plus japonais sortait en lui à ce moment même, pour faire un V de la victoire sur une photo. C'est, chez lui, systématique.

Yuuki n'aime pas les moments de vide dans la conversation. Dès qu'il y a un blanc, il trouve un sujet, une réplique. D'un côté, je le comprends bien. J'ai horreur du silence également, comme si ma vie dépendait d'un son émis, le silence achevant ma confiance à coup de couteau à cran d'arrêt. Ainsi, avec Yuuki, on peut discuter jusqu'à 5 heures d'affiler, sans vraiment voir le temps passer.

Yuuki évite les questions profondes, et ne se moque de personne. Généralement, il est plutôt rare que les japonais se moquent ouvertement des gens. L'ironie n'est pas la forme principale de l'humour japonais, ni la caricature. Parfois, j'ai cette impression que les français sont les champions de l'humour désabusé. Nous passons notre temps à nous critiquer les uns et les autres, à nous moquer des uns et des autres. La France, c'est un peu le pays du bon mot, de qui sera le plus malin. Non pas qu'il n'existe pas de choses similaires au Japon, c'est simplement que l'Autre est beaucoup plus respecté, le-dit respect étant même enraciné profondément dans la langue japonaise.

Yuuki est la sociabilité incarnée. Il apprend l'anglais, l'italien, le français et le coréen, pour pouvoir parler avec le plus de gens possible. Il connait tout le monde, et tout le monde le connait. Difficile de résister, car Yuuki est un beau garçon, souriant, dévoué, sympathique, drôle. Le genre de personne qui vous fait aimer le Japon de manière inconditionnelle.

Je ne sais pas si je me fais une représentation surfaite de ce pays. En tout cas, j'ai découvert chez certains japonais des traits qui coloraient à eux-mêmes le Japon dans son ensemble. Non pas qu'il s'agisse d'un pays de saints bien-gentils et innocents. Soyons clairs, tout pays a sa proportion d'enfoirés. Mais on a quand même fichtrement l'impression que la proportion d'enfoirés est bien moindre au Japon que dans d'autres pays. Pas étonnant que cela soit un des pays les plus sûrs du monde, en terme de criminalité et d'insécurité.

Yuuki connait tout le monde. Et même parfois, une jolie fille se met derrière lui, met son bras autour de ses épaules, murmure quelque chose en riant et part. Je me demande jusqu'à où peut aller la sociabilisation japonaise! Et Yuuki de rougir:  “はは、友達です” (« haha, c'est juste une amie »). Oui: et les cochons volent peut être?

Avant de partir, pour une raison que j'ai oublié, Yuuki s'est royalement foutu de ma gueule! Et là, je l'ai regardé dans les yeux, avec un gigantesque sourire. Car quelque part, si on en arrive même à un point où un japonais se fout gentiment de votre gueule, cela veut dire quelque part qu'un stade de familiarité a été passé. Alors pour lui dire au revoir, je l'ai serré à l'étouffer. Il fallait dévorer sa vanne et la mâcher avec délectation. Il fallait l'étouffer à la bonne française. Victoire! Être ami avec un japonais: impossible n'est pas français. Être ami avec Yuuki: よかったね!

***

C'est juste une pause, c'est juste le début. Ça va être encore mieux après. Respirer, respirer enfin, respirer enfin le vent qui souffle dans les cerisiers en fleur. Il n'y a pas d'autre bruit que celui de Zéphir. Et peut être aussi au loin le son d'une clochette. Et le murmure:

さくら
さくら”


***

Delphine


Je pense qu'il fallait que mes derniers moments au Japon se passent avec Delphine. Pendant une grande partie du semestre, Delphine a été mon double, celle qui m'a aidé à m'intégrer ici, et surtout celle en qui j'avais le plus confiance.

Delphine est discrète. Elle ne se mettra jamais en avant. Elle n'aime peut être pas ça dans le fond. D'une beauté discrète mais bel et bien présente, son rire brille dans la nuit, laissant échapper un son fluorescent rose et jaune.

Il faut parfois aller au delà du rire fluorescent pour percer ce qui va et ne va pas. S'accommoder de la différence de l'autre: accepter que certaines personnes n'aiment pas matérialiser par la parole ce qui se passe vraiment dans leur tête. Il faut accepter les secrets.

Les gens qu'on aime, on les trouve toujours beaux. Tous ceux que j'ai cité sont beaux. C'est du Spinoza. C'est parce que nous nous efforçons vers les choses que celles-ci nous semblent belles. Ils augmentent notre puissance d'agir: comment les trouver laids? Avez vous beaucoup d'amis que vous trouvez laids?

Delphine porte un pull qui, comme le mien, possède deux trous sur chacune des manches, sous les aisselles. Quand nous nous étirons pour bailler, notre radinerie nous saute au visage, avec un éclat de rire. A quoi cela sert-il de s'acheter autant de choses? De consommer autant? Delphine et moi avons été plutôt choqué par le consumérisme ambiant qui règne à Tokyo. De la folie de consommation frénétique qui agite les Tokyoites.

C'est une personne que je ne pourrai pas ne pas revoir.

Ainsi, à Mitaka, je lui ai dit au revoir pour la dernière fois avant le grand départ vers l'autre monde. « On se parle sur skype? Hein? » « Oui, oui, promis ». Promis.

それで、ありがとうございます。

***
Un coup de vent chasse les fleurs qui sont tombées pour laisser la place à l'arrivée de l'été. Un été long et chaud, sans aucune odeur de mort. Un été dans une autre dimension, avant de rentrer en France. Pas encore envie de rentrer. Juste envie de fermer les yeux et d'entendre

さくら
さくら... »

jeudi 7 avril 2011

L'homme des sables

Your shoulder
The mooring for me
Like water lost in the sea
 Feist




Après réflection, je pense que je vais mettre fin à ce blog. Se méfiez de l'eau qui dort? Peut-être avez vous déjà compris, chers lecteurs, ce que cela voulait dire. Rien n'est calme sous l'apparente immobilité des choses. Tout bouge et change, pour le meilleur et pour le pire.
Peut-être que ce blog a commencé pour de mauvaises raisons. Je quitte le Japon pour le Vietnam, les récents évènements m'empêchant de rentrer et de poursuivre mon année là-bas. Je ne m'étendrais pas là-dessus.
Je vous remercie tous de m'avoir lu et de m'avoir encouragé dans mes démarches. L'écriture ne s'arrête pas pour moi en tout cas. Peut-être que je recommencerai un autre blog, quand j'en aurai le temps.
On verra. Inch' Allah

En attendant, un poème de sable et d'eau, comme ce qui a composé ce blog, du début à la fin.




 



mardi 5 avril 2011

Extrait choisi- Work in progress


EPILOGUE
Personnages
A
B

Scène bleue nuit. Une chaise avec des accoudoirs posé de coté. Assis sur elle, A, avec un cahier. B est assis en face sur le sol, s'adossant sur la chaise, les jambes lasses. Ils sont habillés en costumes blancs légers, type colonial. B semble assoupi. Même scène qu'au départ.


A: Tu m'écoutes?

B (semblant un peu surpris): Désolé, je me reposais les yeux.

A: Il est si tard. Tu veux aller te coucher?

B: Non, non. Il fait si bon dehors. Aujourd'hui, c'était l'enfer. Profitons-en. Lis moi encore quelque chose.

A: (amusé) Aha, mais si je continue je risque vraiment de te perdre.

B: Me perdre? Mais voyons, tu sais bien que ça n'arrivera pas.

A: C'est drôle, mais j'ai eu cette impression de te perdre aujourd'hui même.

B: Ah bon? Et quand?

A: Quand nous étions près du Lac, pour notre promenade. Un moment, je t'ai vu te pencher au bord du Lac, tu n'écoutais plus ce que je disais. Un peu comme si tu allais te jeter dedans.

B: Ne t'inquiète pas, va. Tu ne m'as pas perdu.

A: Il m'a semblé, le temps d'un instant. Avec toi, on ne sait jamais.

B: Peut-être.

A: Parfois, on perd l'autre sans se rendre compte...attends, j'ai quelque chose pour la situation.

B (d'une voix calme et détendue): Je t'écoute.

A: ( lecture de ce qui est dans le cahier)

 "L'aube se lève, et il n'y a pourtant plus aucune autre envie en moi que celle de ne plus vivre comme je vis maintenant. Dans les rues de la ville, les marchants s'activent doucement pour ouvrir leurs commerces. Les femmes se lèvent pour aller chercher les marchandises. Les enfants se préparent pour aller en classe. Et moi je marche. Je marche au milieu de la terre qui se lève, et je ne ressens rien.
Il y a sur les pavés de la rue, le reflet sans fin de ton image et l'image nette de la déesse. Il y a alors l'Amour. Cet amour qui m'emprisonne même jusque dans les pavés de la route, qui soudain, sont nettoyés par la pluie. La pluie me murmure à l'oreille comme la déesse. La déesse qui n'a d'existence que parce que tu es là.
Au fond de moi, il y a des bruits, de la fureur et l'absence profonde de continuer à vivre. Mais il y a aussi l'Amour, qui sous la pluie, reprend les reflets bleus de nos mirages. Mais ce sera un amour différent. Ce n'est pas une obsession. Ce n'est pas une passion. C'est ce qui donnera envie d'être libre. Le soleil, qui monte de plus en plus haut, bien que pâle, bien que glacé, émet une lumière infinie. L'Amour, rien d'autre que tes baisers. L'amour, sans cesse à réinventer."





dimanche 3 avril 2011

Bonjour Vietnam


Bonjour Vietnam.

Au réveil, avec un parfum de Chine, à Nanjing ou à Pékin.

Entreprise toujours égocentrée d'essayer d'attraper le stream of consciousness. N'ayez pas peur de l'excès de « Je », car c'est une expérience plus qu'autre chose.

« Je » est allé au Vietnam pendant un mois et demi, et a vécu au 11 rue Ngo Huyen à Hanoi.

« Je » a écrit un journal pendant ce temps là, en a choisi des extraits et les a mis ici, agencé et retouché un peu parfois.
« C'est un peu comme si j'avais toujours été une goutte de pluie, attirée par la grande surface lisse de l'eau, pour réveiller l'eau qui dort, et en faire un océan déchainé. »

Le voyage. On est toujours sur le départ, et en même temps sur l'arrivée. On a ce sentiment étrange, où on sent vraiment l'instabilité de notre identité, tout en étant entre une grisante situation d'être et un inquiétant sentiment de n'être plus rien du tout.

Voyager seul. Il y a des défauts et des qualités. Le défaut est que l'on est seul, et que la solitude prend un drôle de goût. On ne s'offre pas un bon restaurant quand on est seul. Le bon côté, c'est qu'on est aussi seul. Quand on est seul, on va vers les gens, on rencontre de nouvelles personnes, qui resteront avec nous un moment court ou long. On a cette chance de pouvoir se réinventer l'espace d'un instant, de ne pas être figé dans le regard de ceux qui nous connaissent déjà, et qui nous jugent nécessairement. Et puis on peut écrire un journal...

« Dire que je vais rester toute la journée assise »
Camille, Assise






04/02/2011, Narita, Japon


“Dans l'aéroport, sur le départ. J'avais envie de manger un dernier repas japonais avant de “prendre la route”. C'est marrant comme on peut se faire des films, et donner une signification à ce que l'on fait. « Voyager pour s'appauvrir » disait Michaux. Mais parfois, je me dis qu'il faudrait arrêter avec le cynisme. Finalement, peu de gens font ce que je fais, et c'est pour cela qu'il ne faut pas que je transforme ce que je vais faire en un poncif, ne l'ayant pourtant jamais vécu.

(…)




Pourquoi le Vietnam? Un de mes amis d'enfance est d'origine vietnamienne. Je crois que ça a contribué à mon attirance initiale. Et puis, c'est comme toute l'Asie du Sud-Est: entre l'Inde et la Chine. Et puis, il y a Marguerite Duras, et l'ambiance de ses romans qui sent bon la Cochinchine. Et puis, il y a ce cours d'Histoire du Vietnam, avec pour appui la littérature, qui était passionnant. Besoin aussi de partir, de changer d'air.

(...)

Je serai seul au Vietnam. Cela peut paraître triste, et je le serai peut-être, mais finalement, c'est aussi être plus libre. (…) Non pas une solitude radicale, mais j'aimerais bien être bien avec moi-même et ne pas courir après les autres. Je vais donc me promener, et on verra bien.

(...)

Dans moins d'une heure, je vais me diriger vers un pays communiste sans billet de retour. La chose présentée de la sorte, il y a de quoi se demander si je ne suis pas entrain de jouer les Hô Chi Minh qui va passer ses vacances au Komintern! Bon, si jamais ils se dressent contre moi, j'aspirerai le dragon qui dort au fond de mon ventre, et je ferai face.

C'est étrange comme tout ce qui nous ronge peut surgir à la seconde où quelque chose ne se passe pas comme prévu. Peut-être que mon problème, c'est ça: l'imprévu. J'ai essayé par tous les moyens de comprendre d'où me venait cette faiblesse pour l'improvisation. Il y a toujours ce quelque chose noir, ce pas en arrière, cette incertitude de ne pas faire bien.

(05/02/2011)

A Hanoi, Little Kitchen
(06/02/2011)

Me voici au Vietnam. Mon courage n'a pu m'amener que dans un restaurant pour touriste, et me voici à manger un Cheese Burger. Ce qui est cool, c'est que quand on voyage seul, il n'y a personne pour juger de ce que l'on fait ou dit. (…) Il règne ici une paix que je n'ai connu ici ni à Tokyo, ni à Delhi.

(...)

Les premières impressions sont bonnes. La ville, en tout cas le Vieux quartier est plutôt sympa. Les gens sont beaux. Les femmes sont petites et brunes, belles, parfois immensément belles. Les hommes sont de vrais hommes, très beaux aussi.

(...)

La solitude. Je crois que c'est un thème qui va revenir souvent. Non pas que je la ressente particulièrement. Elle fait peur avant qu'on la vive. Elle fonctionne devant les autres, comme la honte. La solitude est solitude de soi devant autrui. (…) Pour ne pas transformer ce voyage en traversée du vide, qui n'aura à la fin, que le goût bien étrange du sable du désert.

En me promenant dans les rues de Hanoi pour retrouver l'alliance française, je me suis surpris à penser que l'entreprise de s'écrire à soi-même était aussi un art. Quand on se parle à soi, on se parle sans masque, on est en face de ses propres contradictions et incertitudes. On ne se fait pas un cirque quand on s'écrit, quand on se parle. Or, quand on écrit en vue d'être lu, alors notre écriture se transforme. Elle se pare de milles et un reflets d'opales scintillantes.
C'est un peu pareil dans les relations humaines. Quand on est face à soi, on se dit tout et son contraire. On est tout et rien. Mais on devient quelqu'un quand on parle à l'autre. On se pare et se déguise. Mais c'est quand on commence à connaître l'autre par cœur, qu'on découvre que, comme nous, il n'est rien d'autre que du vide, sans cesse cherchant à se définir.


(…)


Les rues de Hanoï sont toujours tranquilles. J'ai réalisé aujourd'hui la frustration que j'éprouve à ne pas comprendre la langue qui m'entoure. Les Vietnamiens parlent l'Anglais et le Français avec le même accent qu'on utilise pour parodier les Chinois dans les films. Parfois, je ne peux m'empêcher de rire quand je les entends, mais je m'arrête généralement assez vite. Difficile de se moquer, même gentiment, de gens qui parlent un langue pourvue de 6 tons différents. Xin loi, Viet nam!

(…)

Tous habillés de la même manière, avec le même sac, dans des hotels « backpack ». J'essaie d'éviter le tourisme à la Lonely planet. Étant donné qu'il s'agit du seul livre que j'ai acheté, le résultat est un peu difficile à atteindre. Alors on arrive dans un endroit indiqué, accompagné de trois autres péquenots qui ont lu la même page, l'air un peu bête en se grattant la tête, parce que comme vous, ils ne comprennent rien au système des rues de Hanoi. Mais bon, ne nous moquons pas du tourisme. Il est quelque part une forme démocratique du loisir, même s'il semble parfois être devenu une industrie.

Aujourd'hui:
-Mausolée d'Hô Chi Minh
-Musée de Hô Chi Minh
-Musée de l'ethnologie

(…)

Hari vit dans le Lac, dans un monde à l'envers. Un monde où tout est plus tranquille, où les êtres humains ne s'enchainent plus. C'est un peu le personnage central, le point de convergence. C'est une déesse qui pousse avec la pluie. Je pense qu'on peut la faire pousser au départ, un peu comme une plante, avec l'arrivée de la pluie. Je pensais aussi à une scène de danse avec John. Une musique douce et triste, où les partenaires de danse s'échangent.(...)

Plus j'écris dans ce journal, plus je me rends compte à quel point je me pose des questions et que je me prends la tête. Peut-être que le but de ce journal, c'est d'arriver à réduire le nombre de question pour arriver à l'affirmation d'un « discours plus ferme et conceptuel », à poser moins de questions et à donner plus de réponses. »


Mardi 08 Février 2011

Les petites femmes de la Maison du droit.

Au Viet nâm, les gens ont des noms simples et des noms de famille compliqués. Ainsi, au Vietnam, on préfère dire Madame/Monsieur+ Prénom.

La Maison du droit vietnamo-française est presque essentiellement occupée par des femmes. Ainsi, petite Ha, la secrétaire apporte les dossiers à Madame Ha, qui va de mander à Mademoiselle Tam, l'interprête, d'en effectuer une traduction. Quand Mademoiselle Tam fait une pause, la jolie Tan passe dans son bureau pour rigoler et boire le thé. Arrive alors Mademoiselle Thoa, qui a l'air si jeune, et qui est « si timide », qu'elle ne peut me parler quand je lui parle en français. Mais bon, il faut travailler, parce qu'à côté, c'est le bureau de Madame Hao, la directrice. Là où je travaille, c'est à dire dans le bibliothèque, en face de mes chers camarades français perdus au Vietnam comme moi, il y a Mademoiselle Thu qui travaille. Mademoiselle Thu ne parle pas beaucoup. Mais Mademoiselle Thu à un cœur d'or. Comme Madame Anh d'ailleurs, la bibliothécaire.
Les Vietnamiennes en général, en plus d'être particulièrement jolies, sont d'une gentillesse remarquable.
Le sourire des Vietnamiennes. On pourrait en parler des heures. Alors pourquoi je n'en parle pas? C'est peut être parce que je le garde dans ma tête, comme un secret, comme un trésor.



Mercredi 09 Février 2011

« Le matin: moto taxi. Il est trop difficile de se lever à l'heure.(...) Une bonne journée avec des rencontre à la fin ».
Parfois, j'ai l'impression d'être Dorothy dans le Magicien d'Oz, mais dans le pays de l'Oncle Hô. Se promener parmi les rues bruyantes et vivantes d' Hanoi, au détour des petits restaurants et des magasins improbables, à rencontrer des regards, des visages.



Vendredi 11 Février 2011

« Les longues guirlandes électriques bleues remuaient faiblement, poussées par la brise qui soufflait. Je suis à la table d'un café, en face de la Cathédrale St Joseph, à Hanoï. »

Samedi 12 Février 2011

« C'est étrange ce sentiment de Damoclès. J'ai toujours peur que quelque chose me retombe dessus, comme le sentiment de solitude. Ne pas se foutre la pression. Tel est le but. (…) Je me sens plutôt bien dans ce pays. (…) Hier, j'ai vu la troupe de Than Hang, ou les marionnettes de l'eau. Art populaire au début, je trouvais ça bric-et-broc, mais en vérité, il faut replacer les choses en contexte. Alors j'ai compris pourquoi les chanteuses avaient l'air détendues... Et puis ce dragon fluorescent. Je me demande si le Parti Communiste a utilisé cet art pour faire sa propagande dans les villages. (...)




Mercredi 16 Février 2011

« Nous avons tous nos petites psychoses personnelles qui sont finalement d'un banal ennui. Les choses sont obsédantes ou ne le sont pas: le silence fait bien taire les êtres. Et on se sent mieux à force d'y croire.
Hanoi est une ville qui me plait. La vie y est douce et mystérieuse, les gens gentils et patients, la triplette « colonialisme, vietnamien, communisme » se réunissant dans une création intéressante et bigarrée.
J'entends le clocher de la cathédrale. Magnifique élément européen au milieu des rues typiquement vietnamiennes. Je sais ce que je veux faire de ma vie. Ou pas. De la politique. Je veux lier l'Art à la politique, fédérer des hommes, réaliser des projets, voyager pour découvrir comment faire à l'étranger pour allier les deux. Mais pas seulement. Plus tard, je veux être heureux. Pour de vrai. Mamamia, je vais finir au Pôle Emploi.

Samedi 18 Février, village de Dong Ky

Ça passe trop vite.
Aujourd'hui, une belle découverte du Vietnam du dehors, ou encore, du dehors de Hanoï. J'ai découvert ce que je préférai des voyages: faire de la route. Sur la route, nous sommes en partance pour un entre-deux plaisant, et nos yeux défilent très vite sur des paysages qui sont toujours différents. Je veux passer ma vie en chemin, j'aimerais faire de grandes routes sans fausses réponses. Les vraies réponses sont celles qui ouvrent encore plus de portes, probablement. Dehors, la campagne vietnamienne, et pas grand chose à part des rizières, à perte de vue. »


 Mercredi 22 Février 2011

« Dans le bus, je suis assis à la fenêtre. Le bus doit dater du temps du COMECON, car il semble tellement vieux, qu'il semble être directement importé de l'URSS. Les vitres fermées sont tellement sales qu'elles n'offrent de la ville qu'une vision grise et terne. Hanoi c'est aussi ça, à l'heure de pointe, quand le soleil se couche, et que toutes les motos rentrent chez elles, dans une tornade de pots d'échappement. Je ne peux penser à autre chose. Mais la douceur de la température, et la faible lueur du soleil parviennent encore à transpercer les nuages lourds de pluie et de pollution.

Je me sens plutôt étrange, assis dans ce bus, brinquebalant au milieu des milliers de motos et de voitures, du ciel qui s'assombrit comme s'il nous conduisait un peu plus vers les ténèbres bruyantes. Je n'ai pas froid. Je n'ai pas faim. Des jeunes filles sont assises à côté de moi, et me regardent avec des yeux étonnés. Il commence à pleuvoir.

Depuis ma chambre d'hôtel, près de la cathédrale, je regarde d'en haut les lumières de la ville. On peut y voir les petits restaurant qui servent les clients assis sur des tabourets en plastique bleu, posés sur les trottoirs. Les routes sont devenues des trottoirs mais aussi la rivière qui laisse s'écouler un flot continuel de véhicules en tout genre. La ville a plusieurs visages et respire sereinement. Il y a de la buée sur la fenêtre. Elle est créée par ma respiration.

Après une douche bien chaude, je me lève et me sèche. Au miroir, mes cheveux sont mouillés. C'est moi, juste en face, et pourtant je ne le reconnais pas. C'est bien les traits auxquels je m'étais habitué. Mais je ne le reconnais pas. Je m'approche du miroir, pose mes mains sur sa surface, comme pour m'assurer que ce n'était pas une porte vers un autre monde. Je ferme les yeux. L'atmosphère de la salle de bain est encore lourde d'humidité. On entend qu'un silence pesant. Mon esprit est vide, sans aucun sentiment, sans presque aucune envie. A mes pieds, l'eau s'écoule doucement vers le syphon. Pendant un moment, j'ai envie de la rejoindre cette eau.
Et puis, pour oublier cette idée qui me propulserait dans l'inconnu des canalisations, je vais faire un tour autour du lac Hoan Kiem, le lac où dort une tortue depuis des siècles.





Vendredi 25 Février

« Quoi qu'on dise. Comment faire? Pour arrêter de penser?

« Les pensées s'enchainent et s'enroulent dans ma tête, sans pour autant me sortir de la misère dans laquelle je me trouve »
Yu Dafu

Je pense beaucoup trop, le problème c'est que ça me semble normal.

Hier j'ai vu une adaptation de La Douleur de Marguerite Duras, jouée par Dominique Blanc. (…) La comédienne a parfaitement bien mené cette dernière partie. Presque obsédante, basées sur les répétitions sur l'occurrence choquante du mot « merde », sur la métaphore du ventre et des plantes, sur ce corps qui se reconstitue petit à petit et ce magnifique « J'ai faim » qui conclue la pièce, sans qu'on s'en aperçoive.

Samedi 26 Février 2011
à Hue

Je suis couché sur mon lit
Et j'y entends le bruit des vagues
Et le bruit de l'eau troublante
Qui se heurte contre ses pieds

Ton corps, comme une vague
Qui enroulé dans les draps noirs
Et les cortèges de fleurs pâles
Respire bien tranquillement

Corps et promenade, dans les rues de la ville
Se détachent des coquilles de son
Des ellipses, callypiges
L'Arbre
Et l'atmosphère rose orangée
Un sourire d'orange
Un œil bleu et un œil vert.

Aujourd'hui, j'ai visité la Citadelle de Hue. Il y avait le drapeau du parti Communiste, qui flottait, gigantesque. Ils se sont infiltrés partout où l'histoire respirait, comme pour lui donner une couleur rouge.




 
Dimanche 27 Février 2011

« Je crois qu'aujourd'hui que j'ai compris qu'on ne peut voyager seul pendant deux mois que sous certaines conditions. D'abord, il faut aimer quelqu'un, et avoir envie de rentrer. Paradoxalement, je pense que ça rend le voyage du coup plus...disons qu'il a un sens, qui n'est non pas une fuite vers un meilleur mais découvrir qu'il y a d'autres endroits merveilleux de part le monde. Non pas que le bonheur est quelque chose qui se vit nécessairement à deux, c'est simplement qu'il doit être partagé.

Parfois, je pense à H. mais je ne me souviens même plus de son visage. Je me souviens simplement qu'elle était un peu différente que celles que j'avais rencontrer depuis lors.

Et puis j'ai voyagé de tombes en tombes. Tombes de Tu Duc, Gia Long, Ming Mang. J'aimerais bien aussi qu'on m'enterre dans de tels sanctuaires, en plein milieux de la forêt. Et que de jeunes gens viennent pécher des poissons, dans mes étangs.







Mardi 1er Mars 2011

Les petites dames du lac Hoan Kiem

Mon train est arrivé à Hanoï à 5 heures du matin. Mon hôtel était fermé. En fait, tout était fermé. De quoi pester contre le monde entier, quand on a dormi 9 heures sur une planche recouverte d'une pseudo-mousse qui sert de matelas.

Un moment assez fantastique où j'ai pu voir, à 6 heures du matin, les hanoiens faire leur footing, et la gym matinale. Un grand moment, quand le soleil se lève sur le Lac, et que tranquille, dans les buissons, autour du lac, sur les place, s'activent les courageuses mamies, pour faire un peu de fitness.

Après j'ai écris ça. Et pourtant, il n'y a pas vraiment de rapport, ni de destinataire.

Bien le bonjour Mademoiselle
C'est la première fois que je vous vois
Qu'est-ce qui vous amène par là?
Ah! La fraicheur du temps
La caresse du vent
Et la fraicheur des arbres


Oh moi! Mademoiselle
Ici c'est ma maison
Elle est un peu conceptuelle
Et parfois même j'y suis bien
En toute saison

C'est une maison un peu crânienne
Où circulent milles en unes pensées
Arborescentes, couleur du ciel
Sur son toit perle la rosée

J'y ai cloué des planches et condamné des portes
Je veux plus laisser entrer de feuilles mortes
Ni les courants d'air froids

Quoi! Mademoiselle
Vous voudriez rentrer?
Et laisser échapper
Votre âme, pourtant si belle
Dans cet esprit bien débraillé.



Vendredi 4 Mars 2011

Ce soir, je n'ai pas envie de lire, j'ai juste envie de changer le monde. J'ai envie d'écrire, mais je n'y arrive pas. Je n'ai pas de constances. Il faudrait que j'écrive plus. Mon ermitage, symbolisé par cette chambre d'hôtel louée pour le mois, ne porte pas vraiment ses fruits. Finalement, je sors plus que je ne reste ici.

Je devrais écrire à propos de ce rêve: Nous étions avec toute la troupe de théâtre de l'année dernière. Nous étions entrain de jouer une scène de guerre: tous arrivait sur scène habillés de blanc, comme des fantômes. Plus de bruits de mitraillette, et tout le monde s'effondre. Glauque à souhait.

Parfois, j'interprète tout pour essayer de donner une cohérence au système. Socialisme, amour des autres, Bisexualité, fusion des arts et de la politique, démocratie.

Des films et Des livres. Des livres vietnamiens, comme Duong Thu Huong par exemple. Les paradis aveugles, un très bon livre, un peu larmoyant, mais très poignant et qui montre tout l'échec du communisme.

Et puis des films aussi.

« J'ai tué ma mère ». Quel film! Xavier Dolan a écrit ce film quand il avait 17 ans. Diantre, il faut que je me bouge le cul! 17 ans, c'est l'âge que j'avais quand j'étais avec elle, que je me sentais plein de vie, et que je voulais écrire: « Ohwo! »

Et puis l'Amour bon sang! Il faut y penser à l'Amour!

(...)

Il y a quatre japonais qui m'entourent. Le Japon se rapproche petit à petit. Le Japon me manque.

(…)

Le Vietnam est un pays où les gens sourient. Mais j'ai raté son sourire ce soir. C'est étrange mais je n'arrive pas à vraiment à m'attacher. Peut-être est-ce surtout parce que je m'en vais bientôt. Ou pas envie de m'emmerder avec ça. Je ne sais pas. Relax, take it easy, Paul.

Huong. J'ai rencontré deux Huong. N'avaient pas le même visage. Sa beauté m'a frappé au visage. Mais qui?


Mercredi 9 Mars 2011

« Et puis il ne savait plus quoi dire. Et puis il le lui avait dit. Il avait dit que c'était comme avant, qu'il l'aimait encore, qu'il ne pourrait jamais cesser de l'aimer, qu'il l'aimerait jusqu'à sa mort. »

Marguerite Duras, L'amant


J'aime ce passage. Il me parle. Je n'y peux rien. J'ai l'impression que mon cœur le scande contre les parois de mon for intérieur, pour faire écho jusqu'au fond de mon ventre, et voir si la phrase sonne bien, comme Gustave Flaubert et son gueuloir. Triste: oui, un peu. Cette douce mélancolie. D'y penser encore.

Non seulement, je suis un ruminant, mais en plus je suis un romantique. Mais pas n'importe quel romantique. Le romantisme est à réinventer, un romantisme qui rend libre. Un romantisme qui ne laisse pas de crottin de cheval sous le balcon. Peut être un romantisme politique qui montre que l'amour peut lier des hommes et des sociétés, sans pour autant les enchainer dans des mots et des discours, à des attitudes préconçues, à des attitudes politiques passivement exécutées. Un romantisme qui ne considère ni le destin des âmes sœurs ni par pur déterminisme social ou naturel. Un romantisme qui accepte que tout n'est que circonstance, et qui accepte la facticité du monde, et l'infini liberté des êtres. Suis-je clair? Pas vraiment.


(…)

Le Vietnam et ses gens, et ses visages, ses bruits. Je n'ai rien vu. Je suis resté un mois et je n'ai rien vu. Et je ne vous ai finalement rien raconté, parce que tout est resté dans ma tête. Et je ne vous montre ici, que mon nombril et le nombril du monde. Étrange expérience.

















 
(…)

Les pensées deviennent de plus en plus rares et secrètes.

(…)

Ouais j'y otage de ma tête
Tout s'que j'vois par la f'nêtre
Déménage dedans

Camille, Assise


(…)

Loin de là où j'étais, il y a eu un tremblement de terre, et puis après plein de choses ont changé. Et j'ai eu alors le sentiment d'être tout vide. Pourvu que tout aille bien. Pourvu qu'ils aillent bien. Pourvu qu'il aille bien. Pourvu que le Japon aille bien.

(...)

Ce que je veux faire dans la vie finalement, je le sais. C'est comme si j'écrivais perpétuellement le livre de celle-ci, en revenant toujours sur les images les plus obsédantes. Je donne alors une couleur différente à chaque fois. Une nouvelle image. Une nouvelle lueur.






 

Lueurs

Sur le plafond bleu et mauve
Ce sont toujours les ombres
Qui chantent, dansent et exhalent
« Les mêmes odeurs »

En fait le soir j'ai plutôt peur
J'ai très peur des lueurs
J'ai très peur de ses grandes ombres
Qui me regardent sans pudeur

J'ai 17 ans
Ou peut être que j'en ai 22 maintenant
Mon ombre n'a pourtant pas grandie
Et reste la même face au soleil

L'ombre s'assied sur mon lit
Je la déshabille lentement
Et un souffle froid m'envahit
La peur: cette peur indescriptible.

Alors que j'étais dans tes bras
J'ai eu peur bien au début
Mais ces bras rassurant on fait de moi un ruisseau
Le temps d'un instant

Sur le plafond bleu et mauve
Ce sont toujours les ombres
Qui chantent, dansent et exhalent
« Les mêmes odeurs »




(...)

Écrire des livres, c'est écrire sa vie je pense. Et si écrire c'est vivre, alors il n'y aura plus rien d'autre d'important. « Il faut écrire des choses importantes. »


« Je crois que ma vie a commencé à se montrer à moi. Je crois que je sais déjà de me le dire, j'ai vaguement envie de mourir. Ce mot, je ne le sépare déjà plus de ma vie. Je crois que j'ai vaguement envie d'être seule, et même je m'aperçois que je ne suis plus seule depuis que j'ai quitté l'enfance, la famille du Chasseur. Je vais écrire des livres. C'est ce que je vais faire au delà de l'instant, dans le grand désert sous les traits duquel m'apparaît l'étendu de ma vie. »

Marguerite Duras, L'Amant