Dans le grand champ de fleur, elle était là, les grands cheveux ébouriffés, à m'attendre. On entendait bourdonner les insectes. Les insectes en moi. Les papillons qui ne volent plus dans mon ventre. J'entends encore leurs ailes. Mais il n'y a personne, personne ne vole dans mon ventre. Et toi non plus, elle, toi non plus tu n'es plus là. Les cascades font un énorme bruit. Le bruit couvre tous les sanglots. On entend plus personne pleurer. Et tu es toujours là, avec tes cheveux ébouriffés.
Il y a bien longtemps que je n'ai pas écrit ici.
D'ici là, je ne sais pas si je me suis rempli ou vidé, parce que ce soir je me sens un peu vide.
J'ai fait un peu de théâtre. Je me suis appauvri, au meilleur sens du terme, pour devenir un peu plus brillant. Essayer du moins, d'être universel.
Mais aujourd'hui, je me sens vide.
Voilà, c'est le mot. "Vide".
Tu as laissé un vide.
Et c'est une sorte de voyage, dans le Vide, duquel je ne sais pas sortir.
Je ne sais pas trop comment cela a commencé. Au téléphone peut-être. Ou peut-être dans la chambre de ton amie. Ou dans ses yeux plein d'un espace qui n'est plus rempli de joie. Cette voix, sans plaisanterie qui m'annonce que tu ne viendras pas me voir jouer cette année, ni l'année suivante, alors que tu es celle qui peut-être souhaitait le plus me voir sur les planches.
Et ses hurlements, sans attache émotionnelle. Une voix sourde.
Je n'y croyais pas. Je voulais pas le croire.
Le voyage n'a commencé nulle autre part que dans ce bâtiment étrange. L'institut médico-légal.
Je ne veux pas me souvenir de ce que j'ai vu dans cette pièce, qui n'était pas ce que j'avais comme souvenir de toi. Non. Je veux me souvenir simplement de moi regardant les fenêtres. Ce calme étrange, totalement silencieux, irréel, le Soleil frappant le sol blanc, figeant le temps d'un murmure.
On sentait les âmes se décoller des murs. Les feuilles des arbres se courbaient d'oraisons. Moi, moi, toujours moi, au milieu de cette immobilité, entouré de ce qu'il y a de plus cher. Je ne retiens que ça. Pas ton corps sans vie, non.
Mais je ne retiens que ça: être figé dans l'éternité avec ceux que j'ai aimé. Et le tableau ensoleillé de la fenêtre.
Tes photos. Nous avons passé des nuits à regarder tes photos, sans parvenir à compter tous les sourires.
Tu étais déclinée sous toutes les formes.
Il y avait toujours ton sourire.
C'était comme un voyage (parfois j'ai l'impression de l'écrire mal, ce voyage). Le tournis. Je ne t'avais jamais vu aussi longtemps.
Puis dans la grande salle, ton visage était encore plus grand, immense, présent et pesant.
Je me sentais tout petit, comme une toute petite flaque d'eau. Tout petit.
Écrire sans expulser. Une absence de sentiment. Une petite grippe. Je crois que j'étais un peu malade à ce moment là.
C'est comme si je me cachais ce moment-là, et qu'il revenait de temps en temps, avec force. Le grand champ de fleur, avec toi au milieu, et moi en face de toi, et ton sourire, et ta voix aigüe.
Mais l'image se brouille sans cesse.
Quand je pense à toi, il me vient toujours un moment où mon cerveau se ferme, oublie de penser. Je ne veux pas y penser.
Tu me manques.
Il.
Son absence aussi.
Son absence toute aussi présente que la première.
L'Amour et la Mort sont toujours aussi proches, et laissent le même goût de cendre et d'incomplétude dans la bouche. Partout, sa présence liée à chaque sursaut de cette histoire, car il est lié à cette histoire, dans un tourbillon que lui-même ne comprend pas et qu'il ne semble pas prêt de comprendre.
Comment peut-on aimer si largement, si puissamment, quelque chose qui ne veut plus exister?
D'où puise-t-on cette force qui nous fait croire, juste croire? Cette stupide et vaine croyance: la foi?
Il n'est toujours pas là et ne sera jamais plus là, il me semble.
Oui, je sais, il y a tant d'autres rives où j'ai pu et peux poser ma barque.
"Plus hautes et moins sombres rives"
Persistance de l'illusion cependant. Damnation de la chanson qui ne s'arrête pas encore.
Autant dire "Je t'aime comme le hurlement des volcans, comme les pierres qui s'écrasent à grande volée sur le cosmos, comme ma peau contre ta peau" à une porte aveuglément fermée vers des rives apparemment plus scintillantes.
L'Amour, comme la Mort, nous prouve encore que la plus grande partie de notre vie échappe définitivement à notre contrôle.
C'est une évidence. Un constat.
Ton Absence, donc, comme sa Mort, entrave une partie de ma Vie.
Toi aussi, tu me manques.
Où es-tu? Parfois, je me demande. Mais je ne sais pas et sens qu'il n'est pas nécessaire de savoir. Tu dois être dans un endroit paisible.
Je ne sais pas puisque je te sens dans mon ventre.
Et si tu es dans mon ventre, tu dois être sacrément chamboulée, tous les jours.
Tu peux sortir de ma voix quand je fais du théâtre.
C'est tellement difficile le théâtre.
Souffrir. Se donner l'impression que l'on souffre. Souffrir authentiquement. Un plaisir, ou une peine. Un honte. Ne pas tant souffrir que ça. On ne sait pas comment souffrir. Parfois, on ne souffre même pas tout de suite. Il n'y pas de standard de la souffrance. Et c'est cela qui nous effraie, et nous fait souffrir.
"Je pense du mal.
Je n'aime personne. Je ne vous ai jamais aimé, il faut me croire, c'était des mensonges, je n'aime personne et je suis solitaire, et solitaire je ne risque rien, je décide de tout..."
(Lagarce, le Pays Lointain)
Est-ce que je n'aime vraiment personne, alors que je suis au fond de moi amoureux de l'humanité toute entière? J'ai peur. J'ai peur de cet inconfort qui grandit en moi quand je suis avec l'Autre. De cette inconfort que je sens chez l'Autre. Ma solitude est un cercle vicieux, qui se dirige un peu plus chaque jour vers la pente glissante du désastre. Elle me conduit vers le Rien, car être seul c'est être rien. Mais être adulte, est-ce que c'est être seul?
Je ne veux pas être seul, mais je ne sais pas comment m'en sortir. Je ne sais pas comment les sortir. Ces cris qui ne veulent pas sortir.
J'aimerais que tu sois là pour m'aider.
Quand vous étiez là, j'étais moins seul.
Quand tu étais là, je me sentais moins seul.
Là, je suis dans le grand champ de fleur, de toutes les couleurs.
Le grand champ de fleur. Duquel tout s'élève.
Je cours et me jette dans la cascade bruyante. Et tout le monde me regarde.
Regardez moi, tous! Je suis unique! Je veux rester unique! Personne ne sera comme moi!
Je serai mal habillé, comme un pouilleux. Je serai définitivement
égocentrique! Je n'aimerai sans aucune demie-mesure. Je serai moi, et je
sauterai dans la cascade. Et vous m'aimerez!
Vous m'aimerez, j'espère.
Mon grand voyage, dans les eaux troubles, à ta recherche.
Complètement perdu. Comme un adolescent qui fait ses gammes dans le spleen du pseudo poète maudit.
Tu n'es pas morte. Tant que j'écrirai, tu vivras.
Et mon Amour aussi, tant que je serai là, tu vivras, aussi bête, aussi Stupide que tu sois.
Car moi aussi je suis Stupide.
Je reste là, la tête sur le sable, après être tombé en courant sur la longue plage déserte. A terre, j'entends le bruit des vagues, les plaintes des hommes, mes assommantes plaintes, mon cœur battre; le sable est mouillé et froid.
Des pas s'approchent de moi, et je sais que c'est toi.
C'est ta démarche, maladroite.
Et levant la tête,
Ce sont tes cheveux qui font de l'ombre au Soleil.
Il y a, près de chez moi, un très grand Arbre majestueux. Et souvent, je me confie à lui. Je creuse un petit trou dans son écorce, et je parle.
Je voudrais que tu te réveilles en douceur, tranquillement, sous le bruit que la pluie fait quand elle tombe entre les feuilles de tes branches. Et je voudrais que tu me sers encore comme tu le faisais autrefois, même si tu n'es pas la même personne qu'autrefois, et même si tu n'as pas le même visage. Je voudrais aussi que quand tu ouvres les yeux vers la direction du soleil, je voudrais que ce soleil t'aveugle; et qu'ensuite tu me regardes, la rétine éblouie, pour ne voir que les traits de mon visage et ne pas me reconnaître. Je voudrais que tu m'embrasses, les yeux fermés plein de picotements parce qu'ils ont été chauffés par le soleil. Je voudrais que tu me serres encore plus fort, jusqu'à ce que mon dos craque. Je voudrais que tes feuilles ne soient pas sèches, parce que je veux sentir de l'eau sous moi, sentir comme un moment de fragilité quand je suis avec toi.
Et je voudrais plonger sans comprendre la tête dans la bassine pleine d'eau, tout entier, mes vêtements trempés par l'oubli et les larmes de joie que j'ai accumulé dans ma vie, et que je garde avec moi. Je voudrais que ma tête jaillisse de l'eau, les yeux exorbités sous le soleil vert éclatant. Je voudrais que mes parents m'entendent chanter et soient émerveillés. Je voudrais arrêter de rêver.
Je voudrais tellement que tu sois toujours comme une relique dans mon armoire. Je voudrais faire de toi ma momie, ma fleur que je mets dans le plus beau vase qui orne ma Maison. Je voudrais être heureux avec toi, mais je voudrais aussi que le bonheur n'existe pas, pour avoir toujours de quoi m'occuper dans la vie en le cherchant en vain. Je voudrais alors que tu t'en ailles, avec d'autres, et que tu ne reviennes pas, pour que je puisse confier ma tristesse à l'écorce de l'Arbre. Je voudrais que tu m'écoutes définitivement, même si finalement je n'ai pas envie de t'écouter.
Et je voudrais que tu ne sois pas Arbre, mais Humain, pour que je cesse de me sentir si seul. Je voudrais enlever ton écorce et croquer tout ce qu'il y a en toi. Je voudrais crier avec le lyrisme que je n'ai pas que je n'ai attendu que toi. Et je voudrais n'attendre que moi, puisque tu m'attendais toujours. Je voudrais que tu m'aimes. Et je voudrais m'aimer parce qu'il n'y a que comme ça que je pourrais aimer les autres. Je voudrais aimer.
Je voudrais que tu sois bête et moche. Je voudrais que tu sois une chose laide et timide. Que tu sois la plus belle chose qui me soit arrivée. Je voudrais que tu ne sois ni homme ni femme ni arbre. Mais je voudrais réussir dans la vie sans pour autant montrer à tout le monde que je suis angoissé. Et je voudrais aussi que tu me prennes au sérieux. Que tu me regardes dans les yeux sans cesse avec pitié et avec affection. Je voudrais que tu me lises jusqu'à la fin, car personne à part moi ne te portera autant de respect.
Et je voudrais danser jusqu'à la mort, même si finalement ça n'a aucun intérêt de mourir. Je voudrais tomber amoureux de toi. Je voudrais te fuir. Je voudrais que la vie n'ait plus le goût de la cendre, même si je me pends aux Arbres pour prouver que j'existe. Je voudrais que tu comprennes tout cela.
Et je voudrais mourir pendu à une de tes branches, pour me prouver que je suis bien vivant. Je voudrais marquer l'univers tout entier avec de la peinture à l'huile. Je voudrais que tu te souviennes de moi; que tu penses toujours à moi quand tu embrasses un autre corps; que tu effaces les rires de son visage avec la sève de ton front; que tu cesses d'être grand comme moi j'ai cessé de vivre quand tu as arrêté de pousser. Et je voudrais que tu t'en ailles autre part; que tu écrives des poèmes mal-écrits. Je voudrais que tu te mettes nu devant tout le monde. Et que tu fermes les yeux au monde. Je voudrais que tu sois immonde.
Il n'y a finalement que ça que je veux: vouloir. Vouloir jusqu'à la mort.
Je voudrais arrêter de vouloir, même si finalement ça me fait avancer.
Je voudrais arrêter de vouloir, mais c'est ce qui m'aide à créer.
Je marchais avec Kamma. Elle est la première islandaise que j'ai rencontré, après la mélodieuse voix de Björk (qui parfois donne l'impression qu'on lui écrase le pied pour attraper au passage ses amygdales). On parlait, on marchait sans vraiment s'arrêter, dans les rues de Paris, des humains, de l'amour, de la vie et un tout petit peu de cuisine. Petit à petit, d'Odéon jusqu'à Saint Michel, devant la magnifique Notre Dame, puis le long des quais, jusqu'à cette grande avenue éclairée, haussmannienne, magique. Rien à redire. Il ne faisait pas vraiment froid. Les quais devenaient de plus en plus couleur de nuit, des flux d'étoiles se fondaient dans les grands bâtiments de marbre de Lune.
Soudain, Kamma pointa une statue du doigt. Une magnifique statue, comme il y en a plein à Paris, éclairée par les réverbères, contrastant avec la noirceur bleutée de la nuit. Magnifique vision, mais mon cœur s'est serré. Il y avait un homme assis au pied de la statue. Il m'a regardé dans les yeux, sans sourire. On aurait dit un fantôme. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi mal à l'aise.
Paris. Ca y est. On y est. C'est étrange. La ville semble si petite après 6 mois de Tokyo, un an d'Asie, un an devant une immensité inévitable. Vraiment magnifique. Je ne sais pas pourquoi j'ai mis autant de temps à le remarquer. C'est un véritable musée, un immense musée mouvant et actif, vibrant, pédant mais à la fois éternellement jeune et impétueux. C'est une bataille qu'il faut gagner, pour en tomber éperdument amoureux.
Le long de la Seine, on voit passer les bateaux mouches illuminés et les touristes béats, buvant du vin sur un son d'accordéon. Et pour ceux qui restent un peu plus longtemps, regardant le fleuve plein de mélancolie, on peut voir petit à petit apparaître les bateaux fantômes. Les morts sont silencieux et dînent dans le noir. Ils ont cette délicieuse couleur bleutée. Il y a la vieille veuve, ses enfants et le jeune poète rêveur qui s'est jeté du balcon de sa chambre, à la proue de ce bateau sans capitaine. Je verse quelques larmes dans le Styx.
Et Sciences po maintenant. Nous voici à Saint Germain des Près. Étrange institution qui ressemble à tout sauf à une université et qui est entourée de magasins de chaussures et de fringues dont le prix n'est même pas affiché. Je ne sais pas trop comme prendre les gens ici. Beaucoup sont très bien habillés. Beaucoup sont habillés normalement. L'endroit évoque l'argent, le luxe, l’abri du besoin, la déconnexion, la préservation. Mais on y sent aussi le sérieux, l'intelligence, le savoir. Étrange. Les gens sont ici des individus, beaucoup moins déterminés par l'appartenance à un groupe. Ils semblent également davantage seuls. Paris, en nous isolant nous redonne ce rêve romantique, et cette impression que l'on peut faire ce que l'on veut, devenir qui on veut.
Le long de la Seine, on voit passer les bateaux mouches illuminés et les touristes béats, buvant du vin sur un son d'accordéon. Et pour ceux qui restent un peu plus longtemps, regardant le fleuve plein de mélancolie, on peut voir petit à petit apparaître les bateaux fantômes. Alors je me suis jeté du haut du pont pour tomber sur le plancher de ce bateau plutôt froid. L'équipage m'a regardé d'un air indifférent, voguant sur le Léthée et le corps de ce fleuve plein d'étoiles et de météorite, s'enfonçant dans le Grand Noir du siècle, au couvercle d'or.
Mélancolique et Romantique, comme on le dit, voilà Paris.
"Some people just determine their identity before chosing someone they love. You rather do the contrary. You are hopelessly romantic. You love loving. You believe in it so strongly that you can handle the confusions, the multiplicity, on the sake of Love. You love no matter what."
Maintenant, au 27 rue Saint Guillaume, les lumières sont éteintes même si tout le monde marche dans les couloirs sans vraiment se rendre compte qu'ils marchent dans le noir. L'eau de la Seine dévale les escaliers et transforme les couloirs en un couloir de fleuve. Je suis dans le hall principale, et de l'eau s'écoule depuis le plafond de la péniche. Certains courent dans les grands couloirs vides, à la recherche d'un chemin un peu plus clair, luttant contre l'eau qui se fait de plus en plus présente, palpable, envahissante. Je ne peux pas m'empécher de le voir ce fantôme qui marche dans les couloirs, sans laisser de trace, pendant que tout prend l'eau ici. Parce que quand on lui envoie une pierre, il ne sent rien, puis qu'il est devenu transparent. Et l'eau remplit petit à petit le bâtiment, pour surpasser la Terre.
A la proue du vaisseau fantôme, on est même pas perdu, dans le Grand Noir des villes. Pendant que le bateau s'enfonce dans l'eau trouble, où les souvenirs remontent sans vraiment devenir physique. Le bateau coule, je coule avec lui, j'ai encore un peu la tête hors de l'eau, un peu perplexe, mais étrangement heureux d'être baignée par la lumière lunaire. Qu'y a-t'il d'autre pour être serein, qu'attendre que tout retrouve un certain ordre, trouver la brèche et le bateau fantôme pour créer et rêver? Pendant ce temps, la bateau s'enfonce dans les profondeurs, et on ne voit plus maintenant que l'onde calme éclairée par la lumière du réverbère.
Parfois, trop d'énergie, même fatigué. Alors n'arrive pas à dormir. Alors ferme les yeux.
Un grand escalier tout noir, et de la lumière jusqu'au bout, et des âmes tout autour qui essaient comme moi de sortir.
Pendant que d'autres parlent de descente aux Enfers, certains préfèrent en sortir. Mais l'Enfer, est-ce bien infernal?
Eurydice était bien derrière moi. Elle me suivait, j'en étais sûr. Enfin, elle était supposée me suivre, je crois. Je ne sais pas. Je n'avais pas le droit de regarder derrière. Le risque aurait été qu'il y ait un petit quelque chose qui me fasse par erreur regarder en arrière, et l'aurait éloignée.
Parce que quelque part, c'est toujours Eurydice qui s'en va, quand on la regarde.
Un détail dont je me souviens bien, c'est qu'Eurydice avait de très gros seins.
Étrange sensation que d'être dans les Enfers. Il y fait un peu froid. Pas beaucoup de lumière. Mais je sais qu'il n'y a pas beaucoup de lumière parce qu'il ne faut pas réveiller les rêveurs. Il y fait bon tout de même, et si on regarde bien, on peut voir des éclairs de lumière dans le Noir.
L'Enfer n'est pas horrible. C'est un mythe créé pour nous faire peur. En fait, visiter les Enfers c'est simplement appréhender une certaine réalité humaine, une bizzarerie. Un monde où on sourit un peu moins. Mais n'est-ce pas un monde plus réaliste, où le sourire se mérite et devient le souffle vague que l'on regarde au travers un train qui part?
Partir. J'ai entendu la sirène du train, et j'ai regardé en arrière.
Eurydice redescendait. Mais pourquoi avais-je regardé en arrière! Evidemment, il faut toujours qu'elle redescende cette conne! On peut pas lui faire confiance à celle-là! Mais est-ce qu'elle redescend parce que je lui disais qu'elle allait redescendre?
"Mais vas-y! Casse toi connasse! Et puis de toute façon, t'étais moche! Ta tête le matin ressemblait à un paysage choisi pour installer une centrale nucléaire!
Et puis de toute façon, t'étais pas fidèle!
Et puis de toute façon, j'aime pas les gros seins!
Et puis de toute façon, on trouve toujours mieux non? Je trouverai mieux que toi! (Ou pas)"
Elle continuait de descendre les escaliers avec une suprême indifférence, ses fesses se balançant lentement au travers de sa légère robe blanche.
"Bon allez quoi, remonte! Bon, c'est vrai que j'ai pas été cool! Enfin, toi non plus, hein? Et puis non, t'es pas vraiment laide! Tu as une grande beauté intérieure. Allez! Remonte! Et on recommencera, et ce sera différent, et mieux!"
Toujours entrain de descendre. Sans tourner la tête. La silhouette devenait de plus en plus sombre, comme avalée par la noirceur.
Bon, plus qu'à tourner la tête vers le soleil éblouissant, voir les étoiles.
De là me vient une pensée:
"Eurydice, c'est la Poésie et l'âge adulte. Quand on la regarde, qu'on a l'impression de la saisir, elle s'en va, et il faut toujours aller la rechercher."
Alors très souvent, je m'enfuis. Je vais ailleurs.
Je suis à Nara. By your side. Mais t'es pas là. T'es pu là. Alors je pose un petit regard sur la grande peinture que j'ai peinte pendant un an. J'essaie de l’interpréter cette fois, pour mieux la comprendre. La grande colline verte de Nara m'inspire. Il y a longtemps, j'ai fait un rêve. J'avais la trentaine, j'étais sur cette même colline, j'avais deux enfants dans chaque main, j'étais serein. Et là c'est étrange: je suis sur cette colline, cette même colline. Seul, enfin près de toi, près de vous quand même, mais sans l'être. A faire un Bilan de ma Vie, à 22 ans. Pas grand chose pour faire le bilan: comment faire un bilan de vie à 22 ans. Et pourtant! C'est qu'on peut en dire des choses quand on est bavard!
Je suis à Hanoi. By your side. Je suis assis sur une chaise. Mon téléphone sonne. Tu m'appelles. "Que fais-tu ce soir?". Rien. Sortons. "Allons chez moi. Allons boire de la bière et rigoler. Allons dans un Bar qui ferme à 1 heures à cause du couvre feu communiste. Allons en boite de nuit où la musique nous défonce les oreilles. Allons avec ce Japonais, qui est de passage, et puis après allons chez toi, dire bonjour à Jah, avec tes amis Vietnamiens. Prenons la moto, alors qu'il pleut des cordes, à trois sur le bolide, entourés par les orages et juste mort de rire".
Hanoi, c'était un Lac. Un grand lac paisible, où tout allait bien. Même s'il y avait des pics de solitude, des souvenirs qui remontaient sans qu'on leur demande leur avis. Mais il y avait toi, il y avait vous. Le mystère du Parti enfoui sous le ciel. Une vie sans difficulté. Une vie douce, de miel, sous la chaleur. Et quand ils me regardaient tous, leur beaux visages inquisiteurs sur mon front blanc, je ne pouvais m’empêcher de fondre, dans le moule de ce paradis caché maintenant dans un coin de mon cerveau.
Je suis à Paris. By your side. Enfin, dans la chambre de ma grand mère, je tourne la tête vers la droite et il n'y a personne. J'ai pas vraiment l'impression d'être compris pour le moment. En fait, ils ne comprennent rien. Mais c'est normal: Il n'y a rien à comprendre. Ce n'est qu'une mappemonde, ce n'est qu'un demi tour d'Asie. "Il ne faut pas être méprisant" écrit-il sur son bras droit, la plume ensanglantée. Alors je regarde le ciel gris pâle à travers ma fenêtre ouverte. Le ciel est orange à 22 heures. Se reconstruire une nouvelle vie, encore. Tout recommencer. Ça m'étouffe. Je sens déjà les fantôme qui reviennent. Leurs belles têtes françaises. Leurs traits fins aliénants qui donnent l'impression qu'on est rien, et qu'on sera jamais rien. Je me couche, prend mon Katana. Ils s'approchent et je les écharpe mais ils s'enfuient. Ils vont revenir. Alors j'ouvre le frigo. Je suis en caleçon: plus de pudeur. By your side. Je mange un yahourt froid dans la cuisine. Il a un petit goût de réel. Alors je repars.
Je suis à Saigon. By your side. Il y a des rats qui sortent de tous le égouts et des vendeurs de nouilles de Huê. Saigon, c'est un peu l'apothéose de mon voyage dans les pays communistes. Je viens de me promener devant le magasin de Dior, Louis Vuitton, et autres marques qui sont très loin de prôner l'égalité universelle, pour finir à boire un jus de fruit à 5 euros sur l'étage de la plus haute tour de cette ville qui n'a jamais embrassé très franchement les belles idées de Karl Marx. Saigon. En fait, son nom officiel c'est Ho Chi Minh ville. Mais la ville ne représente tellement pas ce personnage historique que je préfère l'appeler Saigon. Je crois que visiter ces pays qui sont passés par une économie planifiée et socialiste ne m'a pas vraiment convaincu que la Gauche n'était pas une solution. Pour moi, ces pays n'ont simplement jamais été socialistes, et ne sont donc pas des anti-modèles. Ils n'ont juste été que des germes totalitaires, des prises de pouvoir impromptues où le communisme était simplement une jolie couleur pour décorer le discours. Chine, Vietnam, Laos: même combat et même évolution. Le communisme, ce n'est pas la gauche. La Gauche, c'est autre chose. Et ce qui s'est passé là, ne doit pas nous décourager de découvrir qu'un autre monde, plus juste, plus égalitaire, est encore possible. L'Homme n'est pas qu'intérêt, et il a intérêt à ne pas l'être.
Je suis à Pékin. By your side. Non, enfin, plutôt seul. Sur la Grande Muraille. Je ne me suis jamais senti aussi puissant. Je n'ai pas envie de partir. Jamais. Il y a encore beaucoup de choses à voir en Chine je crois. J'ai envie d'y revenir, comme Lotte, avec un gros sac à dos, et y faire du vélo.
Je suis au GC bar. By your side. Enfin, non, encore seul. Je bois seul, je m'ennuie. Personne ne me parle. J'y vais parce que j'ai envie de parler à des gens, mais je sais pas comment leur parler. Y'a personne pour m'aider, pour me traduire l'impossible langue vietnamienne. Mais pendant que je me morfonds, parce qu'on se morfond toujours, il y a Hung qui me regarde.
Et puis pas trop longtemps après, quatre jours peut-être. By your side. T'as changé de tête. Au Vietnam, petits et grands, garçons et filles, trouillards ou téméraires, intellectuels ou praticiens: tout le monde a une moto. Mais moi, je sais pas conduire. J'ai eu peur de la conduire. Alors je m'accroche derrière toi. Tu roules un peu vite. Je m'accroche à ton ventre chaud. Les lumières de la ville font naître petit à petit un kaléidoscope géant. J'hallucine.
Je suis à Delhi. By your side. Je ne suis jamais seul. On est jamais seul en Inde. Je l'ai été mais j'ai aussi été entouré de beaucoup de gens. Cette année, c'était l'année des amitiés. Je n'ai jamais rencontré autant de gens. Jamais autant de gens ne m'ont autant éclairé sur qui j'étais. Et je crois que je les ai éclairé un peu aussi. C'est drôle qu'à la fois, on peut se détester et être convaincu en même temps qu'on est unique. "Alors pourquoi, à un instant T, a-t-on cessé de vous aimer, si vous étiez supposé être unique et intéressant? " Je ne sais pas. J'ai essayer de chercher, pendant ce voyage, pendant les longues heures de trajet sans lire ni écrire. Je n'ai pas trouvé. Enfin si, c'est plutôt simple en fait:
"C'est la vie. Et souvent, celle-ci ne donne pas de réponse. C'est un peu à vous de trouver des pistes dans cet infâme brouillard tout noir. Et personne ne pourra le faire à votre place."
Je suis à Shinjuku. By your side. Tu as encore changé de visage. Tu as toujours un visage différent. Masaya s'empiffre de Takoyaki pendant qu'il m'écoute déclamer les bonnes raisons de ma foi intérieure et mes sentiments vertigineux sur les excroissances de l'amour, le destin des hommes vers leur réappropriation du politique et les vertus de la Satya chez Gandhi (ce qui est en soi passionnant!).
Très troublant, avec des yeux qui vous regardent jusqu'au fond du slip. Masaya est trop troublant: je sais plus où me foutre. Il sourit, de manière peut être un peu malsaine. Dehors il y a Shinjuku qui, malgré la restriction sur l'usage de l'électricité, brille toujours de mille feux. Soudain, Masaya prend un pop corn et l'approche de ma bouche. Sans réfléchir, j'ouvre celle-ci et prend le pop-corn. Masaya explose de rire. Humiliation. Pendant ce magnifique duel de Samouraï, j'ai pris un coup de Katana dans le ventre.
La vie à Tokyo est une vie tellement intense.
Au Arty Farty. Toujours pas By your Side. Deux faces de cet endroit si étrange. Un monde de jeunesse, de fête, de libération, d'amour et d'extase, de rencontres. Et d'un autre côté, un monde d'extrême solitude, de promiscuité, de sexe à outrance, d'inconstance. Ici, la star, c'est Britney, c'est l'Américaine de base, et tous ont des noms Américains sans s'en rendre compte. Donc on boit. On boit des liquides rouges, jaunes, mauves et on sourit bêtement à la boule qui tourne et qui fait plein de lumière.
Je n'aime pas beaucoup la réalité.
Alors très souvent, je m'enfuis, je vais ailleurs. Et ce n'est pas pour moi que je voyage, et que j'écris. Ce que j'écris, je l'écris pour vous. Parce qu'il n'y a que vous qui comptiez. En parlant de moi, je vais jusqu'au fond, et je veux parler aux Hommes. C'est de l'Homme dont il est question. Et de poésie. Le monde est Poésie. C'est un peu comme si on avait oublié que ça existait.
Car c’est de l’homme qu’il s’agit, et de son renouement.
Quelqu’un au monde n’élèvera-t-il la voix ?
Témoignage pour l’homme…
Saint-John Perse - Vents III, 4
Je suis sur la Mer. Sur une barque. Un nouvel Ulysse? En tout cas, je ne sais pas si vous avez tout suivi, mais c'est comme ça qu'il a commencé ce blog. Sur la Mer. Sur une barque. Et je suis capitaine. Enfin, pas vraiment, je fais semblant, comme tout le monde, d'avoir un peu de contrôle sur ma vie. Mais en fait, je râme, comme tout le monde. Mais c'est bien de râmer non? Enfin je sais pas. Si je devais utiliser un mot pour décrire réellement cette année fabuleuse, je dirai "inattendue". Beaucoup de vagues néanmoins, je m'en serai bien passé. Mais bon, quand on monte très haut, on redescend nécessairement très bas: c'est le prix du Bonheur paraît-il. Une chose est sûre, c'est qu'une période de mauvais est toujours suivie par une période de bon. Tout ira bien, tout ira toujours bien. J'ai toujours aimé les happy ends!
Chères lectrices, chers lecteurs, amis, ennemis, anciens amours ou encore futur camarade de combat, retenez ceci de cette logorrhée foireuse: Il y a sous la Mer, plein de grands problèmes politiques. En rentrant dans son ancienne vie, on se rend compte de leur réalité et de leur importance. Ainsi, il faut continuer d'écrire, de faire de la poésie, de discuter, d'apprendre, de réfléchir. La Mer et le Voyage ne sont pas faits pour rendre bêtes et dociles, apolitiques. La Mer est à la fois menaçante, calme ou passionnante. La Mer, c'est un peu comme Moi, c'est un peu comme Vous, c'est une grande étendue calme endormie qui n'attend qu'à être réveillée. Elle est politique. Elle est amoureuse. Elle n'a qu'une envie, c'est de vibrer. "On a tous envie de vibrer", non?
La Mer, c'est l'Homme. Et le sommeil de l'Homme semble profond. Mais le Monde, le Beau, l'Intelligent, existent en chaque Homme. Et à ceux, cyniques et supposés réalistes, qui me disent "Ils sont stupides les Hommes. Ce sont des abîmes marins qui font des pets pendant qu'ils dorment", je répondrais simplement, avec un sourire en coin:
La grandeur des temples construits pour le pouvoir, les sanctuaires millénaires remplis de l'eau puissante de l'Histoire, les centaines de statuettes de bois recouvertes d'or, les milliers de Boudhas, les chemins de pierre et l'infini des monuments!
J'y comprends pas grand chose
Ce que je comprends, c'est le bruit assourdissant des cigales qui s'élève soudainement, le vent qui souffle dans les arbres et qui me donne un léger baiser sur la joue, et les roches que je sens sous mes semelles qui ont fait beaucoup de chemin, de Shanghai à Nara.
Le soleil cogne au zénith, avec sa force et son courage, pendant que je mange une glace à la Vanille et au Thé Vert qui se réduit doucement après chaque délicieux coup de langue.
Alors, j'ai enlevé mes chaussures pour mettre mes doigts de pieds au frais. Autour de moi l'immense forêt impénétrable où on entend les 神 (kami) susurrer des paroles que personne ne comprend vraiment.
Quand tout à coup:
Deux fées
Deux fées qui viennent murmurer à mon oreille
L'une vêtue de rouge vient déclamer les terribles attentes du Futur et ma mort annoncée
L'autre parée de mauve me rappelle les fantômes du Passé
Alors, très logiquement, je les écrase toutes les deux sur mon tee-shirt blanc. On entend un bruit de succions et des cris de vierges qui se meurent.
Deux nouvelles taches rouges que je tente de faire partir, la tête souriante, le soleil sur le front, et les deux pieds dans l'eau du Présent
Pendant que s'agitent, l'air de rien, les buissons et les arbres.